16 10 2010 - Vin . " Marcel Lapierre, viticulteur " . Le Monde

Publié le par Nominoe

 

LEMONDE | 15.10.10 | 16h20

 

Le viticulteur Marcel Lapierre est mort le 11 octobre 2010 à Villié-Morgon, dans le Rhône.

AFP/KENZO TRIBOUILLARD

Le viticulteur Marcel Lapierre est mort le 11 octobre 2010 à Villié-Morgon, dans le Rhône.

 

 

 

Vigneron en Beaujolais, né le 17 avril 1950, Marcel Lapierre est mort le 11 octobre 2010, à Villié-Morgon, des suites d'une longue maladie.

 

Pour ce viticulteur d'exception, la vigne était nature, mais aussi culture, labeur des hommes et expression d'une civilisation. En 1973, quand il reprend le domaine familial, la mode est au beaujolais nouveau. Sa rencontre avec le précurseur Jules Chauvet, qui devint son maître, est déterminante. Elle conduit Marcel Lapierre à imaginer "un vin tout raisin". Un principe : laisser le temps au gamay noir à jus blanc de devenir du vin, à la différence du beaujolais technologique et standardisé, sans sol et sans terroir, "sitôt fait, sitôt bu et sitôt pissé".

 

Pour lui, la vigne est l'expression de la vraie nature, qu'il convient de restaurer dans sa dignité primitive par des méthodes culturales s'inspirant des doctrines les plus douces, issues des spéculations biodynamiques et écologiques de Rudolf Steiner. Né en Autriche en 1861, ce dernier avait puisé dans les écrits de Goethe son respect de la nature et son souci de l'accord de l'homme avec le cosmos.

 

Dans les années 1980, Marcel Lapierre rencontre d'abord Alain Braik, qui publiera Les Raisins de la raison chez Jean-Paul Rocher, puis Guy Debord, lequel lui confie : "La vie d'ivrogne devient difficile" aux grandes heures de l'épopée situationniste.

 

Résistance non violente

 

Au cours des années 1980, Marcel Lapierre développe sa vision singulière du Morgon, l'une des dix appellations du beaujolais, fondée sur l'analyse de la microbiologie des sols et du matériel végétal qui le conduit à redécouvrir l'importance du labour des vignes et du rôle des levures indigènes dans l'élaboration des arômes du vin. Le principe de base est que rien (désherbant, engrais chimique) ne doit troubler la vigne, du repos végétatif au débourrement, de la floraison à la maturation qui précède la vendange.

 

De même pour la vinification : pas de correction d'une vendange manquant de maturité, pas de chaptalisation technique, d'ajout de sucre. Aucune concentration par chauffage. Pour Marcel Lapierre, le constat est rude : "En 1990, année record, les producteurs ont marché sur la tête : 80 millions de bouteilles de pinard obligatoire, sucré à mort, levuré à mort, filtré, turbiné, gonflé à l'acétate d'isoamyle..." qui donne au beaujolais nouveau son goût de banane ou de bonbon anglais !

 

Cette décennie annonce la crise qui, aujourd'hui encore, ronge le beaujolais. Vendangeur quasi-religionnaire, Marcel Lapierre, sosie libertaire de Vendredi, le compagnon de Robinson, a fait retour vers une enfance de la vigne où la nature est censée accomplir le tout, et où tout s'accomplit dans la nature. Il a combattu ses ennemis par la résistance non violente en projetant sur le vin ses fantasmes, ses désirs, ses souvenirs, l'ombre de ce qu'il imaginait être celui de l'Age d'or.

 

 

 

 
 
Jean-Claude Ribaut
 
 
 
 

Publié dans A3 - Non

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article