16 10 2010 - Turquie . " La Turquie veut accroître le commerce avec l'Iran, malgré les pressions internationales " .
| 16.10.10 | 13h47
Istanbul Correspondance
"Nous devrions considérer la Turquie et l'Iran comme si c'était la France et l'Allemagne", estime Samet Inanir, un membre du conseil pour les relations économiques extérieures (DEIK), qui porte la voix des milieux d'affaires turcs. En dépit des pressions internationales pour réduire les relations commerciales avec l'Iran, soupçonné de développer un programme nucléaire militaire, le gouvernement d'Ankara veut accroître la coopération avec son voisin oriental, avec pour but de tripler le volume des échanges, de 2,16 milliards d'euros à 6,5 milliards d'ici à 2015.
"L'Iran est un partenaire commercial naturel pour nous, a réagi le président du DEIK, Haluk Dinçer. Un embargo ne pourra jamais être une solution." Le président de la République, Abdullah Gül, a lui aussi encouragé les enseignes nationales à investir en Iran.
Pour le moment, les exportations iraniennes, principalement du gaz naturel, constituent 75 % des échanges entre les deux pays. L'Iran fournit un tiers des ressources énergétiques de la Turquie. Mais les compagnies turques veulent pouvoir s'étendre sur le marché iranien et s'intéressent de près aux séries de privatisations programmées par Téhéran.
Certaines commencent pourtant à souffrir des menaces américaines de sanctions, affirme le DEIK. Tüpras, spécialisé dans la raffinerie de produits pétroliers et qui exportait de l'essence vers l'Iran, a ainsi dû cesser de le faire, comme l'a annoncé sa direction en septembre. Les contrats ont été révoqués.
Tüpras figurait sur une liste du département d'Etat américain avec une douzaine d'autres compagnies étrangères menacées de mesures de rétorsion commerciales par Washington. "C'est la propre décision de Tüpras, a concédé le ministre de l'énergie, Taner Yildiz, embarrassé. Le secteur privé peut continuer à faire du commerce ou non. La Turquie n'a aucune sanction ou remarque à apporter."
Les ministres du gouvernement insistent sur le fait que la Turquie se conformera sans rechigner aux décisions des Nations unies, qui imposent un embargo sur les ventes d'armes à l'Iran. "En revanche, les sanctions supplémentaires décrétées unilatéralement par les Etats-Unis ou par les pays européens ne nous engagent pas", a martelé le premier ministre, Recep Tayyip Erdogan.
Au contraire, M. Erdogan veut renforcer le partenariat commercial avec son voisin perse. Quelque 1 300 sociétés iraniennes sont déjà présentes en Turquie et tous deux étudient le moyen de lever les barrières douanières. Une zone franche, à la frontière entre les deux pays, doit voir le jour.
La Turquie dément tout revirement d'alliances, mais entend défendre ses propres intérêts commerciaux : les échanges avec l'Iran, mais aussi la Russie ou la Chine, se multiplient. En accueillant le premier ministre chinois, Wen Jiabao, samedi, M. Erdogan a annoncé vouloir tripler les échanges avec Pékin d'ici à 2015.
Plusieurs compagnies turques sont sous surveillance américaine, soupçonnées d'éventuels liens avec l'Iran. Le secteur bancaire a été averti en septembre. Selon un rapport confidentiel publié par Reuters, "la Turquie offre à l'Iran une porte d'entrée vers le système financier européen", en abritant des avoirs iraniens dans certaines de ses banques.
Les responsables turcs du secteur ont démenti. "Le risque est trop grand, on ne peut pas jouer avec le feu, les marchés sont contrôlés", estimait fin septembre Jean Lemierre, ancien patron de la Banque européenne de reconstruction et de développement (BERD) et conseiller de BNP Paribas, qui contrôle la Türk Ekonomi Bankasi.
Les grandes banques privées, telles que Garanti, détenue à 21 % par General Electric, ou Akbank, ont développé des partenariats avec les Etats-Unis. Le géant turc de la téléphonie, Turkcell, est coté à la Bourse de New York. La plupart des grands groupes privés se montrent donc réticents à s'aventurer en Iran.