16 10 2010 - Histoire . " "A quoi sert l'histoire aujourd'hui ?", sous la direction d'Emmanuel Laurentin : pourquoi il faut aimer l'histoire " . Le Monde

Publié le par Nominoe

 

LEMONDE | 15.10.10 | 16h14 

 

 

 

Depuis 1999, Emmanuel Laurentin anime avec brio "La Fabrique de l'histoire", sur France Culture. Fabrique ? Le terme, par l'imaginaire auquel il est associé, renvoie à l'univers du "faire", du "produire" et, partant, de l'"utile". Il était donc naturel que le journaliste finisse par demander à ses invités : "A quoi sert l'histoire aujourd'hui ?"

 

Cette question, Emmanuel Laurentin reconnaît dans sa préface qu'il ne l'aurait sans doute pas posée il y a trente ou quarante ans, à l'époque où "l'histoire apparaissait comme une discipline reine, dominant les autres sciences sociales dans l'explication du monde". L'époque où l'anthropologie, la philosophie et la sociologie "semblaient travailler malgré elles à la gloire de l'histoire."

 

Aujourd'hui, Clio a tendance à se faire plus modeste. Après l'"âge d'or" des années 1970-1980 est en effet venu le temps, plus sombre, de la "crise de l'histoire". Celui des doutes, des incertitudes et des remises en cause. En atteste, ces dernières années, la multiplication des débats sur les fondements de la connaissance historique, sur le "rôle social" de l'historien ou sur les finalités de l'enseignement de l'histoire.

 

Cette inquiétude affleure dans la plupart des réponses collectées par Emmanuel Laurentin. Si les historiens, comme l'affirme Fabrice d'Almeida, ne désespèrent pas à l'idée de "donner du sens au désordre du monde", beaucoup semblent hésiter dès qu'il s'agit de défendre l'utilité de leur discipline. Et plus d'un, semble-t-il, pourrait reprendre à son compte la formule de Jean-Luc Mayaud, qui revendique le droit de tenir un "discours sur l'inutilité volontaire" de l'histoire. Pourquoi ?

 

Essentiellement, rappellent plusieurs contributeurs, parce que l'histoire a trop souvent mal servi et trop rarement aidé à quoi que ce soit. L'histoire, rappelle ainsi Pascal Ory, "a servi à justifier les dynasties, puis les nations, puis les impérialismes". Mais elle n'a, en revanche, "jamais servi à éviter une seule guerre, une seule crise économique (ou) une seule révolution".

 

Si, comme l'explique Sophie Coeuré, "le terme même de "servir" rend nerveux les enfants d'un XXe siècle pendant lequel l'histoire a tant servi, que ce soit un homme ou un régime", et s'il faut, dès lors, en finir avec cet "âge instrumental", l'histoire a-t-elle encore une quelconque mission à remplir ?

 

A cette question, tous les historiens répondent positivement. A l'heure où leur discipline sert souvent à "compenser des avanies subies par des communautés, notamment quand elles sont descendantes de victimes" (Jean-Clément Martin), les universitaires interrogés par Emmanuel Laurentin sont en effet plus que jamais convaincus de l'utilité intellectuelle de celle-ci.

 

"Imprévisibilité créatrice"

 

L'histoire, explique ainsi Arlette Farge, est fondamentalement "chaotique" et "imprévisible". Or cette "imprévisibilité créatrice" est en soi une grande leçon. En "faisant apparaître des processus là où nous ne voyons plus que des résultats" (Louis-Georges Tin), l'histoire "détache du fatalisme et du sentiment d'irrémédiable" (Raphaëlle Branche). En enseignant que "rien n'est naturel" et que "les traditions n'existent que par la bouche de ceux qui les défendent", elle nous rappelle qu'"il y a toujours différents possibles", ajoute Nicolas Offenstadt.

 

"Première servante de la lucidité" (Jean-Noël Jeanneney), l'histoire aiderait, en somme, "à mieux comprendre ce qu'est la liberté" (Etienne François). Le dégrisement, on le voit, n'empêche pas l'enthousiasme.

 

 

A QUOI SERT L'HISTOIRE AUJOURD'HUI ? Sous la direction d'Emmanuel Laurentin. Bayard, 174 p., 13 euros.

 

 
Thomas Wieder
 
 
 
 

 

 

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