10 08 2010 - Nouvelles d'Agriculture & Environement . « Nous allons vers une France agricole à trois visages »

Publié le par Nominoe

 

La Croix - 26/02/2010 12:15

 

 

Bertrand Hervieu, sociologue et auteur notamment des « Orphelins de l’exode rural (1) », dessine la France agricole des années 2030

 

 

La Croix : Comment va évoluer la population agricole française ?

 

Bertrand Hervieu (2) : Les actifs agricoles représentent plus de 3% de la population active. À l’horizon 2030, ce chiffre devrait passer sous la barre des 2%. Plus de la moitié de la population active est en effet âgée de plus de 50 ans et le nombre d’installations ne compense plus celui des départs. Ces installations seront encore plus compliquées par l’accélération de l’agrandissement des exploitations. D’autant que le recul des terres agricoles augmente le prix de celles qui sont libérées.

 

Nous irions donc vers une course à l’agrandissement…

 

Oui, car les exploitations déjà bien installées seront poussées financièrement à absorber les quelques terres libérées. Elles sont de plus en plus détenues et exploitées sous des formes sociétaires (sociétés civiles d’exploitation agricole, entreprises agricoles à responsabilité limitée, etc.). La rotation rapide des matériels y est fiscalement attractive.

 

Il est donc plus rentable pour ces agriculteurs d’investir dans des tracteurs de plus en plus lourds que d’embaucher des salariés. Mais pour que l’investissement soit viable, il faut toujours plus de parcelles. C’est une spirale de l’agrandissement.

 

Il existe aujourd’hui 600 000 exploitations. Leur nombre devrait donc encore baisser…

 

D’ici à une vingtaine d’années, nous pouvons tabler sur environ 350 000 exploitations.

 

À quoi ressembleront-elles ?

 

Pour schématiser, une France agricole à trois visages se dessine. Il y aura encore, notamment dans les secteurs de l’élevage ou de l’arboriculture, des exploitations basées sur des structures familiales. Le travail s’y organisera autour d’une production dominante. Par ailleurs, une agriculture que j’appelle « de firme » va se développer de manière considérable, notamment dans le domaine des grandes cultures.

 

Pour des raisons de rentabilité, d’investissement de matériel ou encore de gestion de salariés, des agriculteurs se rapprochent les uns des autres. Chacun apporte ses hectares et c’est le consortium ainsi constitué (il peut atteindre plusieurs milliers d’hectares) qui gère de manière capitalistique l’entreprise. C’est l’agriculture de la mondialisation, branchée directement sur la Bourse de Chicago… Ces deux visages composeront plus des deux tiers des exploitations.

 

Et pour le reste ?

 

Nous allons également voir grandir une agriculture de résidence. C’est-à-dire une pratique de gens qui choisissent de conserver ou d’acquérir un corps de ferme pour rester ou pour s’installer à la campagne. Ils se débrouillent, possèdent quelques animaux, développent plusieurs productions en quantité limitée, inventent des activités complémentaires : circuits courts, accueil à la ferme, transformation de leurs produits. C’est une agriculture qui peut constituer une adaptation à la crise économique, au chômage. C’est un mode vie choisi qui permet l’installation de néopaysans.

 

Le bio peut-il trouver sa place dans ce schéma ?

 

Dans l’agriculture familiale et de résidence, bien entendu. Mais l’agriculture de firme n’est pas, par définition, synonyme de mauvaises pratiques. J’ajoute qu’il sera important d’alimenter les grands marchés mondiaux pour nourrir toujours plus de personnes sur terre.

 

Allons-nous vers une révolution culturelle dans l’agriculture ?

 

La modernisation de l’agriculture française s’est bâtie sur un modèle qui associe une exploitation à une famille. Ce modèle éclate. Avec les formes sociétaires foncières, de plus en plus d’agriculteurs se sentent détenteurs de parts de capital et non plus d’une terre à entretenir et à transmettre. Et peut-être moins responsables de leur patrimoine de biodiversité et de paysages.

 

Il paraît donc important de porter aussi attention à l’agriculture de résidence. Elle porte en elle les valeurs symboliques et culturelles que la société française attend de ses paysans et invente des modes d’insertion territoriale et sociale. Ce sera un défi pour la politique agricole française de penser l’agriculture dans cette diversité.

 

 

Recueilli par Michel WAINTROP

 

(1) Éditions de l’Aube, 13 €.

(2) Bertrand Hervieu est également ancien président de l’Inra et ancien secrétaire général du Centre international de hautes études agronomiques méditerranéennes.

 
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article