02 09 2010 - Terres fertiles, Spéculateurs . Spéculateurs en quête de terres arables

Publié le par Nominoe

 

Courrier International

 

La mainmise des investisseurs sur les terres s’accentue en Afrique. Au risque de fragiliser un peu plus les communautés paysannes locales.

 

26.08.2010 | Katie Allen | The Guardian   H 

 

 

Si les courriels qui vous promettent une fortune contre le versement d’une somme destinée à ramener sur Terre un astronaute nigérian perdu dans l’espace vous laissent indifférent, ceci va en revanche peut-être titiller le spéculateur qui sommeille en vous. Un hectare de terre fertile en Afrique, un bail de 99 ans, le tout pour 1 dollar par an. Réfléchissez-y : les prix des produits agricoles flambent, le foncier s’apprécie et les pays riches tributaires des importations garantissent pratiquement des débouchés éternels. Cela commence à sentir la bonne affaire nigériane, n’est-ce pas ? Mais ce n’est pas une arnaque. Pour le malheur des personnes qui y vivent, les exemples abondent d’Etats qui cèdent pour une bouchée de pain des terres agricoles à des investisseurs étrangers, qu’il s’agisse de fonds spéculatifs ou de producteurs d’agrocarburants.

 

Les fonds de pension entrent en scène

Les achats ou locations à long terme de terrains ont démarré durant la crise alimentaire mondiale de 2008. Alors que les émeutes de la faim faisaient rage du Mexique au Bangladesh, les spéculateurs et les pays qui craignaient pour leur sécurité alimentaire concluaient discrètement des accords avec des Etats africains. Certains parlent d’accaparement des terres, voire de néocolonialisme. Mais pour d’autres, y compris au sein de la Banque mondiale, ce phénomène va permettre de moderniser l’agriculture et de générer plus de profits et de denrées alimentaires pour la population locale.

Le Soudan, la Tanzanie, l’Ethiopie (un pays souvent touché par la famine) et Madagascar sont particulièrement convoités. Cette ruée vers la terre s’accélère, sous la poussée de nouveaux investisseurs. Les fonds de pension sont les derniers acteurs à entrer en scène, après l’effondrement du rendement de leurs actifs traditionnels du fait de la crise financière. Cet intérêt grandissant a poussé la Banque mondiale à se pencher sur les avantages de l’afflux des capitaux étrangers pour les pays en développement. La publication de son rapport est imminente. Selon certaines informations, il indiquerait que de riches investisseurs ont d’ores et déjà mis gravement en péril les ressources locales et largement profité des pays à bas coûts et à législation laxiste.

Ce n’est pas une surprise pour les organisations non gouvernementales (ONG). Parmi elles, les opinions diffèrent quant au caractère bénéfique ou non de ces investissements, dans la mesure où ils sont réalisés de manière responsable. Oxfam, par exemple, en est convaincue. Pour d’autres, les terres africaines devraient rester entre les mains des Africains. Mais la plupart des ONG déplorent que les accords soient souvent conclus dans le plus grand secret, sans consultation des populations locales.

 

Survival International cite ainsi le cas des ethnies des basses vallées de l’Omo, en Ethiopie. Selon l’organisation caritative, après avoir perdu leurs terrains de chasse avec la création de parcs nationaux dans les années 1960 et 1970, elles ont vu une partie de leurs terres transformées en fermes d’Etat. Maintenant, le gouvernement négocie la location de terres tribales aux étrangers, qui y feraient des cultures destinées à la production d’agrocarburants. Le problème ne concerne pas seulement les tribus isolées. En Afrique de l’Ouest et de l’Est, l’agriculture a contribué au PIB à hauteur d’un tiers entre 2003 et 2007, contre 1,6 % seulement dans les pays développés, selon la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développement (CNUCED). Ce secteur a représenté plus de la moitié des emplois totaux entre 2002 et 2006. Le nombre d’Africains dépendant de l’agriculture est tel qu’il faudra tirer la sonnette d’alarme si les accords secrets bradant leurs terres se multiplient. D’aucuns rétorquent que les pays industrialisés ne peuvent pas rester les bras croisés et laisser en friche des terres fertiles en Afrique, alors qu’un milliard de personnes ont faim (d’après la FAO). Mais les militants anti-pauvreté contestent l’existence d’une pénurie alimentaire. Selon eux, les populations des pays pauvres ont faim non pas parce que la nourriture fait défaut, mais parce qu’elles n’ont pas les moyens d’en acheter. Ils ont raison jusqu’à un certain point, mais finalement les gens auront faim si les investissements, qu’ils soient locaux ou internationaux, n’augmentent pas.

Il n’empêche. Les gouvernements africains doivent consulter leurs peuples, s’efforcer d’assurer la sécurité alimentaire dans leurs pays et connaître la valeur de ce qu’ils vendent. Ils doivent aussi savoir ce qu’il ne faut pas céder – trop souvent des terres sont considérées comme “en friche” et bradées alors que, en réalité, elles constituent un terrain de chasse vital ou une source d’approvisionnement en eau pour les communautés et les éco­systèmes locaux.

Des bases de données foncières sont constituées

Les propriétaires doivent également pouvoir utiliser les outils désormais disponibles. Des bases de données foncières sont en cours d’élaboration. De même, l’Institut international pour l’analyse des systèmes appliqués (IIASA), en Autriche, planche sur des méthodes d’évaluation des investissements et des gains socio-économiques. C’est le seul moyen d’assurer la transparence et l’équité des transactions.

En septembre, le sommet des Nations unies consacré aux “Objectifs du millénaire pour le développement”, et en particulier à l’éradication de la faim, risque de se tenir en pleine crise des prix alimentaires mondiaux. Du Pakistan à la Russie, les récoltes ont pâti de conditions climatiques extrêmes. Les dirigeants du monde pourraient en conclure que la réponse se trouve dans les terres cultivables d’Afrique. Mais ils doivent s’assurer que la sécurité alimentaire des riches n’aggrave pas la faim des pauvres.

 


Tendance

La forme principale des investissements sur les terres agricoles se fait de plus en plus sous forme de bail de longue durée (jusqu’à 99 ans), constate David Hallam, un expert de la FAO, dans un article présenté en juin 2010. Entre 20 millionset 50 millions d’hectares de terres africaines [l’équivalent de 20 à 50 % des terres arables européennes] ont été acquis par ` des investisseurs étrangers dans les trois dernières années, rappelle-t-il. Certes, cela représente une faible part des surfaces disponibles en Afrique, mais ces investissements visent les meilleures terres, et l’impact local peut être important.

 

 

 

 

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