10 08 2010 - Nouvelles d'Agriculture & Environement . Le divorce paysan entre Sarkozy et les agriculteurs, par Nicolas-Jean Brehon

Publié le par Nominoe

 

LEMONDE.FR | 22.03.10 | 14h37

 

 

Malgré la nouvelle "aide supplémentaire" de 850 millions d'euros annoncée par Nicolas Sarkozy, le divorce entre le président et les agriculteurs semble engagé. Même si la faute est partagée. L'Etat avance chaque année un peu plus dans une impasse, et le monde agricole tarde au changement qui le sauverait.

 

Alors, l'Etat, coupable ? Est-ce possible de mettre tant d'argent et d'être ainsi accusé de négligences, voire de fautes ? Réforme après réforme, la politique agricole commune (PAC) s'est transformée en politique d'assistance aux agriculteurs. L'objectif, collectif, s'est effacé devant les moyens. L'accord inouï conclu en 2002 entre le président Jacques Chirac et le chancelier Schröder vaut encore à la France de recevoir 10 milliards d'euros par an. Mais ce succès a aussi son revers : la France a toujours privilégié une approche budgétaire de la PAC en oubliant les fondamentaux : à quoi sert la PAC ?

 

En interne, l'Etat garde une approche sociale et sécuritaire de l'agriculture. L'Etat a peur de ses paysans, de ses manifestations et de ses votes. Car il fut un temps où le monde paysan faisait vaciller les plus grands, de Gaulle, Mitterrand... La France mène une politique agricole du XIXe siècle où l'essentiel est de calmer les jacqueries d'une population frondeuse. Surtout avant les élections. La réaction du président de la République est dans cette lignée, en jouant sur trois notes. L'argent, bien sûr, encore et toujours. Les chiffres : le prix du lait en France est 15 % plus cher qu'en Allemagne. Enfin, campagne électorale oblige, quelques arguments repris du syndicalisme agricole, tels que la préférence communautaire et l'allègement des contraintes environnementales.

 

Le problème est que personne ne croit à ces mesures. La préférence communautaire non seulement n'a jamais, formellement, existé mais n'a pas la moindre chance d'être acceptée par nos partenaires européens. Ce recul écologique est-il opportun alors que l'agriculture se doit de renouer avec la société un lien qu'elle a perdu ? Et surtout, l'argent ne règle rien tant que l'on n'a pas posé la question première du sens et de la légitimité de cette politique : encore et toujours, à quoi sert la PAC ?

 

D'ailleurs, le ministre de l'alimentation et de l'agriculture, Bruno Le Maire, lui-même a une lecture différente de la crise agricole. Une lecture plus profonde, plus politique, qui lui permet d'oser affirmer que la PAC doit cesser d'être un outil de défense des agriculteurs pour (re)devenir une politique qui implique la société toute entière. C'est tout le sens de l'équilibre agriculture/alimentation. Il faut cesser ces arrangements, ces coups de pouce vains et incompris. Le président soutient mais il est suspect. Le ministre prend ses distances mais il est écouté. Alors même qu'il n'est guère aidé par les principaux intéressés. Quels reproches faire aux agriculteurs, exsangues après une baisse des revenus de 35 % voire 50 %, pour un des métiers les plus rudes de la société moderne ?

 

D'abord, d'être figés sur des revendications éculées – le retour des quotas, la sortie de l'Organisation mondiale du commerce, la préférence communautaire... – ou qui ne sont pas à la hauteur des enjeux. Il en va ainsi de l'allégement de charges – en sus des 3 milliards d'euros d'exonérations fiscales existantes –, économiquement explosif. De même, on peut comprendre les agacements des agriculteurs face aux dispositions environnementales "démentielles", aussi mal vécues que le fut l'émergence du droit du travail au XIXe siècle, mais il n'y aura pas de sortie de crise sans elles.

 

Ensuite, le monde agricole semble imperméable aux critiques qui lui sont faites : coût, vaches et cochons pollueurs... Face à ces assauts, les agriculteurs restent silencieux, laissant à penser que qui ne dit mot consent et gardant en réserve, au cas où, le rituel du lisier dans les cours de sous-préfecture pour faire reculer les pouvoirs publics. Mais ce qui fut vrai l'est de moins en moins. La société a changé. Il y a moins d'attaches familiales, moins d'empathie aussi. L'accusation écologique, martelée, porte. Même si en France, et probablement seulement en France, le débat reste vif, l'agriculture ne sera pas une priorité politique européenne. Sera-t-elle même une priorité française ?

 

Enfin, le monde agricole n'apparaît pas suffisamment comme une force de proposition. Quel dommage que le monde agricole, qui sait si bien se mobiliser contre l'Etat, reste dispersé quand il négocie avec ses acheteurs, industriels et centrales d'achat ! Quel regret de disposer d'un outil aussi puissant que les coopératives agricoles et d'en faire un usage si timide ! Pourquoi ne pas les ouvrir, travailler en partenariat avec les donneurs d'ordre, les régions, les hôpitaux, les écoles, les cafés-restaurants ? Comment réformer les aides aux revenus ? Comment créer de la richesse sans la PAC ? L'agriculteur, positionné en producteur de matières premières, gagnerait à devenir un acteur d'une filière qui propose de la valeur ajoutée – proximité, fraîcheur, délais, qualité, conditionnement.... La clef est – aussi – entre leurs mains.

 

Faute de cette double révolution, du sens et de l'organisation, l'agriculture française risque d'être essorée lors de la prochaine négociation européenne.

 

 

Nicolas-Jean Brehon est enseignant à l'Institut des hautes études de droit rural et d'économie agricole.

 

 

 

 

 

 

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