15 10 2010 - " Comment adapter l'histoire à ses convenances " . Le Monde

Publié le par Nominoe

 

LEMONDE.FR | 15.10.10 | 14h21

 

Michel Cassou, administrateur de société et ancien professeur d'histoir et de géographie

 

 

 

Dans les débats qui ont eu lieu sur le thème de la burka comme sur celui des restaurants hallal, et d'une façon plus générale à l'occasion du 140e anniversaire de la Troisième République, on a beaucoup évoqué les valeurs de la République, le pacte républicain ou le modèle républicain. L'un des arguments les plus utilisés en faveur de l'interdiction de la burka a été le fait que le port de cet habit serait contraire aux valeurs de la République. C'est un argument que l'on a entendu venant aussi bien de la droite que de la gauche et qui semble faire l'unanimité. Il est acquis que les valeurs de la République seraient opposées à ce que l'on appelle le communautarisme. Personne ne discute ce point et pourtant il est fondé sur une méconnaissance totale de l'histoire de la République et en particulier de la IIIe République.

 

Pourtant, des cinq régimes républicains que la France a connu, c'est bien le plus important et le plus déterminant dans la fixation de nos valeurs. Non seulement par sa durée mais aussi par le fait que c'est la IIIe République qui a ancré ce système de gouvernement dans le pays. Rappelons que la République n'a été votée qu'à une voix de majorité, comme un système provisoire, et qu'elle a eu à s'imposer face à des menaces quasi permanentes (boulangisme, affaire Dreyfus, affaire de Panama, ligues anti-républicaines dans l'entre deux guerres, etc.) En outre c'est sous la IIIe République qu'ont été votées la plupart des lois républicaines encore en vigueur, et en particulier la loi sur la laïcité, souvent rappelée dans le débat sur le voile ou sur la burka. La IIIe République a donc indéniablement joué un rôle fondamental dans l'élaboration de ce que l'on appelle les valeurs de la République.

 

Or force est de constater que la IIIe République était non seulement communautariste mais même à certains égards ségrégationniste.

 

Les premières vagues d'immigration venant du Maghreb, colporteurs kabyles sous le Second Empire ou ouvriers dans les savonneries de Marseille plus tard, voire les ouvriers dans les mines du Nord ou pour la construction du métro parisien au début du XXe siècle étaient en nombre trop restreint pour poser un problème de cohabitation.

 

La première grande vague d'immigration a eu lieu lors de la première guerre mondiale avec l'arrivée sur le territoire national de 300 000 soldats et de 130 000 ouvriers originaires du Maghreb. Or les valeurs de la République à cette époque ont conduit à ce qu'ils soient traités selon les règles les plus élaborées du communautarisme. Alors que pour les soldats français la cuisine était faite au saindoux, les soldats musulmans avaient droit à de la cuisine au beurre, eu égard à leurs convictions religieuses. On n'ose pas imaginer les débats que provoquerait une telle mesure dans la France de 2010.

 

En outre les soldats musulmans avaient leurs foyers, leurs lieux de convalescence et ils ne devaient sous aucun prétexte fréquenter des femmes françaises. Leurs rapports avec les infirmières étaient très surveillés.

 

CONTREVÉRITÉS HISTORIQUES ET UNE HYPOCRISIE MANIFESTE

 

Faut il rappeler qu'en 1925 était crée à la préfecture de police une brigade spéciale de contrôle des Nord-Africains. On parlerait aujourd'hui, à juste titre, de "chasse au faciès".

Faut il rappeler qu'en 1935 la République inaugurait à Bobigny un hôpital exclusivement réservé aux musulmans. Si ce n'est pas du communautarisme alors les mots n'ont plus de sens.

 

Le communautarisme de la IIIe République ne s'appliquait pas seulement aux populations d'origine africaine. Lors de l'immigration polonaise de l'entre-deux-guerres, des villages entiers sont venus s'installer dans le Nord de la France, avec pour condition de venir avec leur instituteur et leur curé. Si ce n'est pas du communautarisme, qu'est ce que c'est ?

 

La IVe République est restée fondée sur les mêmes bases. Dès ses débuts elle a réagi face aux mariages mixtes qui se sont développés. Ce phénomène était peu courant sous la Troisième, et il s'est accru à la fin de la guerre, suite à des liaisons nées pendant la captivité entre des prisonniers de guerre originaires d'Afrique et des françaises, le plus souvent dans le monde rural. En effet les Allemands ne voulaient pas de ces captifs sur leur territoire et ces derniers avaient été placés dans des fermes. Le ministre de la justice de l'époque qui souhaitait limiter au maximum ce type d'alliance écrivait "que ces mariages portaient atteinte au prestige de la France". Nous étions pourtant en République et à une époque où l'on mettait en œuvre le programme progressiste du Conseil national de la résistance.

 

Ce propos n'a pas pour objectif de défendre un retour aux troisième ou quatrième Républiques, mais tout simplement que l'on cesse d'invoquer les valeurs de la République dans le seul but de soutenir un discours, sans chercher à savoir qu'elle était la réalité des faits, et pour cacher d'autres motivations, sans doute moins présentables.

 

De même évoque-t-on dans ce débat sur la burka l'atteinte à la dignité de la femme pour se donner bonne conscience et occulter bien des atteintes à la dignité de la femme, beaucoup plus répandues, souvent plus cruelles, mais plus difficiles à traiter (différences de salaire entre hommes et femmes, violences conjugales, harcèlement sexuel au travail, précarité des prostituées, etc.). Dans tous ces domaines, soit rien n'a été mis en œuvre, soit les résultats sont particulièrement insuffisants, surtout si on les compare avec ceux obtenus dans d'autres pays.

 

Qu'on le veuille ou non, le débat sur la burka a été fondé sur des contrevérités historiques et une hypocrisie manifeste.

 

 

Michel Cassou est aussi ancien membre de la direction générale d'un groupe de services multinational, ancien professeur d'histoire et de géographie

 

 

 

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