Jean-Pierre Berlan - " La guerre au vivant "

Publié le par Nominoe

 la guerre au vivant

 

 

 

 

 Textes de Michael Hansen, Paul Lannoye, Suzanne Pons, Gilles-Eris Séralini
et Jean-Pierre Berlan, réunis par Jean-Pierre Berlan.

 

   

 

Résumé  ( Atheles )  

 

   

La biologie moderne et ses biotechnologies relèvent plus de la spéculation financière caractéristique de notre époque que d’une science qui a perdu jusqu’au souvenir qu’elle avait pu se ranger sous la bannière de la vérité, du désintéressement et de l’émancipation. Constat critique et propositions, les contributions qui suivent s’efforcent de répondre aux préoccupations du mouvement de résistance aux mystifications techno-scientifiques de la biologie marchande.

 

  

 

Avant-propos 

   

La biologie moderne et ses biotechnologies relèvent plus de la spéculation financière caractéristique de notre époque que d’une science qui a perdu jusqu’au souvenir qu’elle avait pu se ranger sous la bannière de la vérité, de l’objectivité, du désintéressement et de l’émancipation. Depuis que la première « chimère » (terme utilisé lors du dépôt de brevet) génétique a ouvert en 1973 la boîte de Pandore de l’instrumentalisation du vivant à des fins de profit, cette biologie s’attache à capitaliser les profits futurs dans le cours présent des actions. Mettre en valeur le capital investi oriente les programmes scientifiques des entreprises comme ceux d’une recherche publique privatisée de fait – quand ce n’est pas de droit – et décide du contenu des explications en biologie. Le profit étant dans les gènes, la vérité scientifique s’y trouve aussi.

 Le jeu consiste à célébrer un avenir biotechnologique radieux pour faire gonfler la bulle spéculative présente. Ainsi en est-il en médecine des découvertes des gènes du cancer, de lobésité, de lhomosexualité, de lintelligence, du sport, de la schizophrénie, de la fidélité, etc., qui ne font que répéter sous lhabillage de la modernité biomoléculaire* les vieilles lunes qui ont scandé les dérives de la biologie depuis deux siècles phrénologie, eugénisme, « chromosome du crime », sociobiologie, etc. I. Ainsi en est-il en agriculture des organismes génétiquement modifiés (ogm*) : des chimères au sens propre comme au sens figuré. Au sens propre car il sagit de créer des organismes incorporant des gènes en provenance despèces ou de règnes différents. Au sens figuré car cest une chimère de penser que les ogm permettront-de-nourrir- la-planète-en-respectant-lenvironnement. Mais la propagande des industriels autoproclamés des « sciences de la vie » (Monsanto, Novartis et autres Aventis) a rendu aveugles les élites politiques, professionnelles et scientifiques à la fonction essentielle de cette biologie : créer de nouvelles sources de profit aux dépens de la collectivité.

  Lancé au cours des années 1930 par la Fondation Rockefeller, baptisé « biologie moléculaire* » en 1938, ce projet politique de contrôle social par la biologie est en train de s’accomplir sous nos yeux : « Pouvons-nous développer une génétique assez solide et approfondie pour engendrer des hommes supérieurs dans l’avenir ? Pouvons-nous en savoir assez sur la physiologie et la psychologie de la sexualité pour que l’homme puisse mettre cet aspect omniprésent, essentiel et dangereux de la vie sous un contrôle rationnel ? […] L’homme peut-il acquérir une connaissance suffisante de ses propres processus vitaux de façon que nous puissions rationaliser le comportement humain ? 1 ». Le biologiste-spéculateur (à moins que ce ne soit l’inverse) qui fonde une « start-up » s’efforce de faire d’un bricolage une percée qu’une presse mystifiée célèbre comme un pas décisif dans la « maîtrise du vivant », ouvrant « d’immenses perspectives » en agriculture ou en médecine. La valeur des actions bondit. Le capital-risque se précipite. Les fonds recueillis alimentent la promotion qui attire de nouveaux gogos. Des annonces soigneusement distillées sur une prochaine percée scientifique réveillent l’enthousiasme des investisseurs et ainsi de suite. Lorsque Celera annonce avoir « achevé le séquençage du génome d’une personne et commencé maintenant à assembler les fragments séquencés du génome », ses actions grimpent de 25 %. Pourtant, selon le directeur du Centre national de séquençage français, Jean Weissenbach, « le communiqué de Celera n’a pas plus de signification que de valeur scientifique ».

  De 1996 à 1999, la culture de plantes transgéniques s’est étendue aux États-Unis comme un feu de prairie. La superficie décuplait de 2,8 à 28 millions d’hectares. Les bourses pariaient que l’agriculture et l’alimentation mondiales seraient bientôt transgéniques – c’est-à-dire qu’un cartel de quelques firmes agrochimiques-pharmaceutiques prendrait le contrôle de l’agriculture et de l’alimentation dans le monde. Deux décennies de propagande scientifique sur les miracles philanthropiques toujours prochains de la biologie « hitech » en agriculture et médecine avaient atteint leur objectif : paralyser l’esprit critique et le simple bon sens des « décideurs » de toutes obédiences politiques et professionnelles ; en obtenir la soumission, non pas honteuse, mais enthousiaste. La Commission déplorait le « retard » européen, reprenant ainsi le refrain du complexe génético-industriel, et s’apprêtait à subventionner, une fois de plus au nom de la compétitivité européenne et de l’emploi, la même demi-douzaine de transnationales biocidaires qui, régulièrement, empochent les subventions pour, dans le meilleur des cas, investir ailleurs. En décembre 1996, la Commission avait autorisé la commercialisation du maïs transgénique. Au début de 1997, Corinne Lepage, ministre de l’Environnement, avait obtenu du Premier ministre Alain Juppé l’interdiction de cultiver le maïs transgénique Bt de Novartis. En juriste, elle nourrissait quelques soupçons à propos de l’unanimité des experts officiels et avait consulté des scientifiques indépendants – entre autres les professeurs Pelt et Séralini. Quelques mois plus tard, en novembre 1997, son successeur Dominique Voynet revenait sur cette décision et autorisait la culture de trois variétés transgéniques de Novartis. Deux organisations écologistes, Ecoropa et Greenpeace, déposaient alors un recours au nom du « principe de précaution ». En juillet 1998, le vice-président des États-Unis Al Gore téléphonait au Premier ministre Lionel Jospin et lui faisait comprendre l’« importance de cette question pour les agriculteurs américains ». Le gouvernement autorisait aussitôt la culture de douze nouvelles variétés transgéniques, six de Monsanto et six de Novartis. « Monsanto 1 - France 0 », titrait The Ecologist I – un tel recul démontrait que la « conférence citoyenne » organisée par l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques en juin 1998 – qui venait de recommander un moratoire sur la commercialisation de maïs transgénique comportant des gènes de résistance aux antibiotiques –, était bien la mascarade que certains dénonçaient. En septembre 1998, à la suite du recours d’Ecoropa et de Greenpeace, le Conseil d’État suspendait au nom du principe de précaution l’autorisation de culture des trois variétés autorisées en novembre 1997, créant ainsi une situation pour le moins confuse : le maïs chimérique pouvait être importé mais pas cultivé ; sur quinze variétés autorisées à la culture, trois étaient suspendues et les autres sous la menace d’une suspension. En en novembre 1997, son successeur Dominique Voynet revenait sur cette décision et autorisait la culture de trois variétés transgéniques de Novartis. Deux organisations écologistes, Ecoropa et Greenpeace, déposaient alors un recours au nom du « principe de précaution ». En juillet 1998, le vice-président des États-Unis Al Gore téléphonait au Premier ministre Lionel Jospin et lui faisait comprendre l’« importance de cette question pour les agriculteurs américains ». Le gouvernement autorisait aussitôt la culture de douze nouvelles variétés transgéniques, six de Monsanto et six de Novartis. « Monsanto 1 - France 0 », titrait The Ecologist I – un tel recul démontrait que la « conférence citoyenne » organisée par l’Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques en juin 1998 – qui venait de recommander un moratoire sur la commercialisation de maïs transgénique comportant des gènes de résistance aux antibiotiques –, était bien la mascarade que certains dénonçaient. En septembre 1998, à la suite du recours d’Ecoropa et de Greenpeace, le Conseil d’État suspendait au nom du principe de précaution l’autorisation de culture des trois variétés autorisées en novembre 1997, créant ainsi une situation pour le moins confuse : le maïs chimérique pouvait être importé mais pas cultivé ; sur quinze variétés autorisées à la culture, trois étaient suspendues et les autres sous la menace d’une suspension. En décembre 1998, le Conseil d’État demandait à la Cour de Justice des communautés européennes si un État pouvait annuler une décision ministérielle prise en vertu d’une décision communautaire. La réponse tomba en mars 2000 : elle est négative mais ouvre des possibilités de recours si des irrégularités ont entaché la procédure nationale d’autorisation 3. L’imbroglio ne fait que croître, témoignant des tiraillements des gouvernements français, acquis aux ogm* car persuadés qu’il s’agit d’un « progrès » I mais inquiets des risques éventuels et surtout de l’hostilité d’une opinion publique qui ne voit pas pourquoi elle servirait de cobaye à des produits inutiles. De son côté, l’opinion publique – en Angleterre d’abord pour cause de vache folle, puis en France – prenait conscience de ce qui se préparait. En janvier 1998, au cours d’une manifestation exemplaire à Nérac, la Confédération paysanne détruisait un stock de semences de maïs transgénique de Novartis. Lors de leur procès à Agen en mars 1998, les inculpés posaient publiquement la question « d’un ordre social qui ne craint plus d’annoncer qu’il assume le risque d’empoisonner les hommes et leur planète au nom des équilibres financiers et de la libre circulation des marchandises 4». L’agriculture chimérique échappait aux scientifiques et autres experts pour prendre sa dimension politique. Au même moment, le 3 mars 1998, « Terminator* » – brevet de stérilisation des plantes déposé par une firme privée et le ministère américain de l’Agriculture – contredisait la propagande des industriels des « sciences de la vie* ». Il révélait à tous l’objectif mortifère du complexe généticoindustriel : stériliser le vivant. Une poignée de transnationales était en train de commettre, derrière le rideau de fumée de la philanthropie et de l’écologie, un hold-up sur le vivant, de faire main basse sur les ressources génétiques, d’achever la mise sous tutelle des agriculteurs et la confiscation de notre alimentation et de notre santé. Et de nous entraîner dans un monde transgénique aussi incertain qu’inutile. Les contributions qui suivent s’efforcent de répondre aux préoccupations du mouvement de résistance aux mystifications techno-scientifiques de la biologie marchande.

 

Jean-Pierre Berlan

 

 

 

 

 

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