01 07 2010 - Jean-Michel Basquiat

Publié le par Nominoe

 

 JM Basquiat.1982

              JM Basquiat,1985

 

Andy Warhol Jean-Michel Basquiat Francesco Clemente, New Yo

 

 

 

 

                                                     ALBUM

 

 

Basquiat, comète new-yorkaise dans le ciel de Bâle

 

 

LEMONDE | 01.07.10 | 16h29 

 

On garde du marchand suisse Ernst Beyeler (1921- 2010) l'image d'un homme courtois, policé même. Alors, quelle est cette peinture de sauvage qui, venue de la rue et des ghettos de New York, envahit sa fondation.

 

La rétrospective Jean-Michel Basquiat, en même temps qu'elle est une exposition exceptionnelle, est aussi la preuve de son ouverture d'esprit, et de l'acuité de son regard. Il suffit de s'attarder devant deux tableaux, parmi les 167 qui forment, à la fondation, un accrochage des plus denses : Self-Portrait et Philistines. Ils figuraient tous deux dans une exposition que Beyeler, dans sa légendaire galerie de Bâle, consacra au début des années 1980 à "la peinture expressionniste après Picasso". Basquiat y côtoyait les plus grands. Il n'avait que 22 ans, et encore cinq années à vivre.

 

S'il peut s'inscrire dans la lignée d'un Picasso, l'art de Basquiat, c'est aussi une tranche de l'histoire de New York. Que les moins de 50 ans - l'âge qu'il aurait aujourd'hui sans une overdose fatale, le 12 août 1988 - ne peuvent pas connaître, et que les visiteurs actuels de Manhattan, de ses boutiques de luxe et des défilés de limousines, auront peine à imaginer.

 

Une ville qui, quand Basquiat débute, a inspiré au cinéaste John Carpenter l'idée d'un bagne urbain. En 1981, son film, New York 1997, imagine Manhattan transformé en un gigantesque pénitencier où les Etats-Unis enferment les pires criminels. Ce n'était pas prémonitoire : la cité était réellement en faillite, les gangs pullulaient, le métro ressemblait à un coupe-gorge. Cinq ans auparavant, aux autorités de la ville qui lui demandaient une aide financière, le président Ford avait répondu : "Laissez-les crever !"

 

Une ville ruinée, mais où tout était possible, et d'abord pour les jeunes artistes. On lira là-dessus, dans le remarquable catalogue de l'exposition, le témoignage de l'écrivain et journaliste Glenn O'Brien, qui est également le scénariste de Downtown 81 (New York Beat Movie), tourné en décembre 1980 et janvier 1981, où Basquiat joue le rôle d'un artiste expulsé par son propriétaire.

 

Rôle réel, puisque le jeune homme, sans domicile fixe, dormait à l'époque dans les bureaux de la production du film. "New York City était vraiment le sauvage Far East, écrit O'Brien. Fusillades. Bandits. Violences. Mauvais quartiers. La plus grande ville du monde était fauchée et complètement ruinée, et c'était passionnant. (...) Les artistes pouvaient y vivre et y travailler. Exposer était le seul problème. Les galeries existantes étaient prises. Il fallait que l'art se trouve un endroit où crécher. Il devait dormir dans la rue, en espérant qu'on vienne le ramasser pour le ramener dans un bel appartement. Et c'est comme cela qu'il y a eu le graffiti." Il faut avoir cette histoire de New York présente à l'esprit lorsqu'on visite les dix salles de la Fondation Beyeler où se déploie la rétrospective. Ainsi qu'un autre élément, parfois négligé : si Basquiat est né à Brooklyn le 22 décembre 1960 de parents émigrés d'Haïti et de Porto-Rico, il n'a rien d'un apache de banlieue. La famille appartient à la petite bourgeoisie. A 7 ans, le jeune Basquiat parle trois langues et fréquente une école catholique. Mais l'enfant est rebelle : à 14 ans, il fait sa première fugue. Avec des camarades, il crée le personnage de Samo - pour "same old shit" - et tague sous ce nom. Pas des graffitis à proprement parler, mais des aphorismes ou des slogans, des poèmes.

 

Car, avec son ami Keith Haring, il partage le goût des poètes de la Beat Generation , William Burroughs ou Brion Gysin, notamment. Et son terrain de jeu n'est pas le métro, mais les murs des quartiers où sont alors regroupées les galeries d'avant-garde. Selon l'artiste Henry Flynt, qui les photographia à l'époque, "ce qui est important, c'est qu'il les dessinait sur les murs de Soho et de l'East Village, satirisant les conditions sociales de la période et le voisinage ".

 

Deux mois après le tournage de Downtown 81, Basquiat participe à une exposition collective et est remarqué par le marchand italien Emilio Mazzoli qui lui organise, en mai 1981, sa première exposition personnelle à Modène, mais aussi par la galerie Bischofberger de Zurich et Annina Nosei, de New York, qui lui prêtera sa cave pour en faire un atelier. En juin 1982, à l'âge de 21 ans, il est le plus jeune artiste jamais invité à participer à la célèbre Documenta de Kassel, tremplin vers la renommée.

 

L'exposition à la Fondation Beyeler montre qu'elle n'a pas été usurpée. On croyait connaître la peinture de Basquiat, on la découvre en fait, dans son inventivité née d'un melting-pot culturel (on y a vu une influence vaudoue autant que des références à l'art classique), d'un usage intensif de produits hallucinogènes, mais surtout d'une surprenante intelligence plastique. Comme Picasso, l'avait prédit Beyeler.

 

"Basquiat". Fondation Beyeler, Baselstrasse 101, Riehen (Suisse). Tél. : (00-41)-61-645-97-00. Tous les jours, de 10 heures à 18 heures ; le mercredi, jusqu'à 20 heures. Jusqu'au 5 septembre. De 12 CHF à 25 CHF (9 € à 19 € environ). Catalogue éd. Hatje Cantz, 244 pages, 68 CHF. Sur le Web : Beyeler.com.

 
Harry Bellet
 
 

Publié dans Arts

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