25 04 2010 - Willy Ronis, une poétique de l'engagement
"Willy Ronis, une poétique de l'engagement", à la Monnaie de Paris, 11 quai Conti. Paris 6e. Tél. : 01-40-46-56-66. Du mardi au dimanche, de 11 heures à 19 heures ; jeudi jusqu'à 21 h 30. Entrée : 7 € et 5 €. Jusqu'au 22 août.
Avec une exposition-hommage en 150 images autour de l'oeuvre de Willy Ronis, impossible d'éviter les photos incontournables : La Péniche aux enfants, Les Amoureux de la Bastille, Le Petit Parisien, etc. A la Monnaie de Paris, Marta Gili et Nathalie Neumann assument le statut d'icônes de ces images célèbres : elles sont présentées dès l'entrée, dans une grande salle, isolées les unes des autres sur des piliers, flottant dans le temps et l'espace, éternelles. Pourquoi pas.
Les mots du photographe guident le spectateur dans cette flânerie nostalgique à travers une France rêvée. Ils ont été recueillis dans les cahiers que Ronis avait constitués à la fin de sa vie, à partir d'une sélection de ses 500 meilleures images, accompagnées de réflexions, commentaires techniques et anecdotes. Les cahiers sont exposés sous vitrine.
Une fois ce devoir d'hommage accompli, les autres sections tentent d'éclairer des aspects moins connus et souvent moins sentimentaux de l'oeuvre. Nombre de photos soulignent l'engagement socialiste de Willy Ronis : ses images du monde du travail, qui glorifient des ouvriers héroïques derrière leur machine. Et son voyage en RDA, en 1967, qui dépeint un pays d'utopie avec des bibliothèques pleines, des étudiants studieux, des enfants joyeux.
Une projection dévoile aussi une partie du travail en couleurs du photographe, pas toujours percutant. Pour Marta Gili, ces découvertes ne sont que des premières pistes, et la grande exposition Ronis reste à venir : "Il reste à travailler sur les lettres, les documents. Les archives de Ronis sont un territoire vierge."
Claire Guillot
Le "territoire utopique" de Willy Ronis
Willy Ronis, une "poétique de l'engagement" : pourquoi avoir choisi ce titre ?
L'axe fondamental du travail de Willy Ronis est l'être humain, qu'il se trouve dans l'espace public ou dans l'espace privé, dans la rue, chez lui ou sur son lieu de travail. A cet esprit humaniste, très en vogue après la seconde guerre mondiale, qu'il partage d'ailleurs avec d'autres photographes bien connus comme Robert Doisneau, Izis, Edouard Boubat ou Henri Cartier-Bresson, il faut ajouter son militantisme au Parti communiste, notamment à partir de 1936, avec la montée du Front populaire.
Il s'est très tôt intéressé aux classes soumises et aux plus démunis. En témoignent ses photographies des usines Citröen (1938), les mines de Saint-Etienne (1948) ou encore ses images d'ouvriers à Paris (1950). Ce double profil – humaniste et communiste – crée chez Willy Ronis un territoire utopique qui imprègne toutes ses photographies : il tend à s'extasier devant la réalité et observer la fraternité des peuples. C'est en partie ceci qui justifie le titre.
On connaît surtout de Willy Ronis ses images des rues de Paris, ses quartiers populaires, des scènes populaires ou champêtres. Or l'exposition met en avant la classe ouvrière.
Les ouvriers, dans les images de Willy Ronis, ne sont pas que des femmes et des hommes mobilisés contre les abus et les discriminations du pouvoir. Ils sont avant tout des "personnages" – photographiés comme des héros – qui ne trahissent pas la classe ouvrière mais la magnifient. Il faut rappeler que l'utopie communiste des années 20 et 30 résidait dans le travail. C'était effectivement le travail qui convertissait un homme, ou une femme, pour atteindre un monde meilleur.
Dans ces images, il existe une véritable harmonie entre la machine et celui ou celle qui l'utilise : il y glorifie le labeur individuel et sublime en même temps la notion de travail au quotidien. Les images du monde ouvrier de Willy Ronis évoquent le travail comme moteur du progrès, outil essentiel à la construction d'un "être nouveau". Comme en témoigne l'homme derrière la machine de filature, dans un reportage fait dans l'usine textile du Haut-Rhin, en 1947 : on sent que cet ouvrier s'applique et à un réel savoir-faire.
Photographe de l'intime, Willy Ronis n'hésitait pas à photographier ses proches, ses amis, son épouse et son fils. Du portrait au nu : que voulait-il donner à voir par et dans ces images ?
"La belle image est une géométrie modulée par le cœur", écrivait Ronis dans son beau texte Sur le fil du hasard en 1981. Avec ses images de nus, il me semble que Willy Ronis cherchait justement à saisir cette géométrie du corps et du geste qui tend à nous approcher de la beauté. Il n'a pas hésité à capter la vie des siens, avec une certaine candeur et nostalgie. Il en va de même avec ses portraits d'amis ou de sa famille. Quand il photographie son fils Vincent endormi (1946), sa femme Marie-Anne émergeant nue de sa sieste (Nu provençal, 1949) ou son ami le photographe Robert Capa, il n'hésite pas à explorer le monde, épiant en secret et attendant que celui-ci dévoile ses mystères. A ses yeux, l'essentiel était de recevoir des images plutôt que d'aller les chercher : c'est en absorbant le monde extérieur qu'il bâtissait son propre récit. Et c'est de cette relation, constamment présente dans l'ensemble de son travail, que sont nées des images singulières et inoubliables.
Propos recueillis par Claire Gilly.