23 07 2010 - Isabelle Autissier

Publié le par Nominoe

 

 

Isabelle Autissier.
                                                 © DUCOURTIOUX  -  Isabelle Autissier. 
 
Biographie  :  http://fr.wikipedia.org/wiki/Isabelle_Autissier                                   

 

 

Un grand bol d'air avec quelqu'un d'hors du commun.

Quelqu'un qui va sur la mer ... 

Mais pas seulement !

 

 


 

Le Monde - Ulysse | 23.07.10 | 10h24

 

Isabelle Autissier : "Aller jusqu'au bout de mes rêves" 

 

Elle arrive à notre rendez-vous l'air goguenard, Courrier international sous le bras. Mais c'est très sérieusement qu'elle pointe le titre du journal – Un monde sans avions – en plissant ses yeux bleus. “Quelle pagaille ! Les gens vont-ils en tirer une leçon ? Vont-ils enfin comprendre que s'ils voyageaient en prenant le temps de découvrir leur environnement et les autres, ils ne se retrouveraient pas désemparés devant la nature ?” Sa réaction vis-à-vis de l'éruption d'un volcan islandais donne le ton : la dame est directe et volontaire.

 

À n'en pas douter, sa personnalité est déjà affirmée, quand, à 6 ans, elle déclare : “Plus tard, je serai marin et je construirai mon bateau.” Pourtant, la mer n'est pas au bout du jardin de la maison familiale, où l'on pratique la musique classique, en banlieue de l'Est parisien. Mais il y a les vacances en Bretagne : “On tirait des bords dans la baie sur un petit dériveur, et, pour moi, il n'y avait que ça : la mer.”

 

Pour la côtoyer au quotidien, elle devient ingénieur halieute [gestion des ressources du monde aquatique] tout en se construisant un voilier ; donne des cours sur les activités liées à la pêche en vue de financer ses courses. À l'écouter, sa vie s'est déroulée simplement, à coups de détermination pour réaliser ses rêves. C'est cette motivation qui l'a toujours fait “grandir”, jusqu'à devenir, à 34 ans, la première femme à faire le tour du monde en solitaire, lors du Boc Challenge de 1991. À l'époque, si son exploit sportif est salué, il déclenche un déchaînement de questions qui l'agace. Qu'est-ce que ça lui faisait… en tant que femme ?

 

“Je disais que je pouvais seulement répondre en tant qu'être humain. D'ailleurs, il faudrait qu'on m'explique à quoi servent les attributs masculins sur un bateau à voile. Pour moi, c'était très simple, j'avais rêvé de ce tour du monde à l'âge de 8 ans et je l'avais fait !” La réalisation de son rêve lui ouvre la porte de tous les possibles : il y eut d'autres courses en solitaire (quatre en tout), au cours desquelles Isabelle Autissier risque sa vie. Ainsi, il lui est arrivé que son bateau se retourne à 360° ; elle attendra les sauveteurs pendant quatre jours. Lors de sa dernière course en solitaire, en 1999, le bateau chavire en plein élan puis reste à l'envers, un autre concurrent lui portera secours. Mais quand elle s'essaiera à naviguer avec un équipage, elle pulvérisera, en 1994, le record à la voile de New York à San Francisco par le cap Horn en 62 jours – 14 jours de moins que le précédent.

 

Il semble que cette fonceuse ait apprivoisé l'angoisse : “On a peur de ce que l'on ne connaît pas, et je connais assez bien la mer. Il y a plus de gens qui meurent en ville à cause de leurs comportements que de morts en mer. L'essentiel est de faire les choses dans les meilleures conditions, le reste ne nous appartient plus.” Puis, un jour, elle se dit qu'après quinze années passées à faire des tours du monde, il est temps de passer à autre chose. La poursuite du rêve se transforme alors en engagement, sans pour autant perdre le désir de faire et d'apprendre. Bien au contraire, puisque l'on retrouve son nom dans les grandes batailles écologiques et sociétales.

 

“Je suis une touche-à-tout, dit-elle par dérision. D'ailleurs, j'adore ce vieux proverbe de la marine : ‘Le marin sait tout faire, mais mal'.” Mal ? Pas si sûr. Car la dame se révèle comme une rêveuse efficace et tournée vers les autres. Depuis longtemps elle relaie les actions de la Fédération internationale des ligues des droits de l'homme (FIDH) en participant à des campagnes médiatiques aux côtés d'intellectuels et d'artistes et en se penchant sur des problèmes tels que l'impact humain du démantèlement des navires en Asie. Mais ce qui l'occupe principalement, c'est sa fonction récente de présidente de WWF-France pour une période de quatre ans – elle est assez fière d'avoir été élue à l'unanimité fin 2009.

 

Ce nouveau rôle, quasi administratif, semble lui aller comme un gant : animer les conseils d'administration, discuter des combats à mener, rencontrer les représentants de l'État, des ONG, insuffler les grandes idées, faire des propositions… La navigatrice deviendrait-elle politique ? La réponse prend la forme de l'adjectif “engagée” – elle l'a toujours été. D'autant que son rôle dans le premier Grenelle de la mer, en 2009, fut d'assumer la présidence d'un des groupes de travail.

 

De cette expérience, elle garde un souvenir enthousiaste. “La force de la collégialité s'y est montrée très puissante – l'État n'était qu'un seul des cinq partenaires présents – et des décisions ont été prises parce que tous les acteurs le voulaient, en bonne intelligence.” Le regret qu'elle affiche, c'est que les solutions restent théoriques. Dès lors, on ne s'étonnera pas de lire, au moment où s'ouvre le deuxième Grenelle de l'environnement, le coup de gueule d'Isabelle Autissier dans une tribune du Monde, le 4 mai dernier.

 

“Alors qu'une marée noire géante pollue le golfe du Mexique […], il semblerait qu'une autre marée noire, celle des lobbies, risque de porter atteinte à nos espérances de voir un Grenelle 2 adopté sans détricotage à l'Assemblée nationale.” Et de conclure : “Le syndrome du gardien de phare – avoir beaucoup d'horizon et très peu d'avenir – ne doit pas être notre seule fatalité. Ce Grenelle et les autres étapes [...] doivent nous aider à métamorphoser notre société enfin solidaire des vivants et du vivant.” 

 

Mais ce serait oublier de quel acier (de quelle eau) la femme est trempée que de l'imaginer désormais, dans son alerte cinquantaine, éloignée de la navigation. Isabelle Autissier revient de plusieurs mois passés dans l'océan Antarctique, où elle a mené l'une des expéditions mer-montagne qu'elle affectionne. Le Grand Sud l'a envoûtée le jour où, ayant démâté en course, elle y fit un arrêt obligé pour réparer son bateau. Elle y reviendra donc, arpentant l'île à pied, s'imprégnant de l'histoire chaotique et romanesque de son “découvreur”, Yves- Joseph-Marie de Kerguelen, dont elle puisera la matière à un livre ("Kerguelen, le voyageur du pays de l'ombre", Grasset, 2006).

 

L'Antarctique devient son propre terrain d'exploration et elle n'a de cesse de monter des projets visant à le faire mieux connaître. “Peu de gens savent que ce continent est non seulement indispensable à notre vie, mais aussi porteur d'idées nouvelles et de découvertes. Savez-vous que c'est le seul lieu du monde qui n'appartient à aucun pays et qui est déclaré Terre de science et de paix ?” déclare-t-elle en confiant, un peu plus tard, qu'elle s'ennuie ferme dans les mers chaudes.

 

À bord de son solide bateau d'aluminium, Ada, elle embarque l'écrivain Erik Orsenna, un scientifique et un cameraman vers le Grand Sud. Pendant cinquante jours, à partir d'Ushuaia, ils naviguent sur les traces des mythiques Shackleton, Charcot et autres Nordenskjöld, faisant escale sur les îles de glace à raquettes ou à skis. S'ensuivra un autre livre, cosigné avec l'académicien, "Salut au Grand Sud" (Stock, 2006), du nom de l'expédition.

 

Dès lors, la navigatrice s'interroge sur les impressionnants pics glacés qu'elle a pu admirer de son bateau. Sont-ils connus ? Ont-ils déjà été escaladés ? L'alpiniste Lionel Daudet, “en quête de sommets bien tordus à grimper”, lui fournit une réponse: “Tu prends les Alpes, tu découpes à partir de 2000 mètres et tu poses cela dans l'océan Austral, des pics et des bosses de partout, des sommets qui n'ont même pas encore de noms, nappés de neige glacée, servis avec 40 noeuds de vent pour que ça mousse bien, en haut comme en bas.” Il n'en faut pas plus pour qu'elle se lance dans un nouveau rêve, un nouveau défi : marier l'exploration de l'océan Antarctique avec la découverte des cimes du continent. Dorénavant, l'équipage sera composé à parité de marins et de grimpeurs de haute montagne.

 

La première expédition de ce type, en 2007, met le cap sur la Géorgie du Sud, île couverte de glace à 2 000 km à l'est d'Ushuaia, et où domine le mont Paget (2934 m). “Peu fréquentée, peu cartographiée, elle laisse encore du sens au mot découverte. La plupart de ses sommets n'ont jamais été grimpés”, écrira par la suite Isabelle Autissier dans Versant Océan, l'île du bout du monde, en collaboration avec “Dod”, lequel est à la montagne ce qu'Isabelle est à l'océan : un rêveur de l'extrême. Début 2010, l'“expé” Nomansland Project consiste à réitérer l'aventure, mais plus loin, “en faisant évoluer vers l'un-peu-plus-difficile”.

 

L'euphémisme paraît bien modeste quand il s'agit de naviguer à six pendant trois mois entre icebergs et growlers (blocs de glace dérivants) sur une Ada de 15 mètres bourrée de matériel et de débarquer à la limite du possible les trois alpinistes afin qu'ils réalisent des “premières” sur plusieurs îles glaciaires !

 

Isabelle Autissier souligne qu'elle a la chance de ne rien s'interdire, et aussi que le temps est une valeur, qu'il faut ramener de la beauté, de la convivialité, du plaisir. Elle affirme sa mission de “passeur” d'expériences en ponctuant son trajet de l'écriture d'un livret d'opéra, "Homo Loquax", en complicité avec le compositeur Pascal Ducourtioux, dont le thème porte sur ces voix que l'on “entend” en Antarctique – autant de paroles emprisonnées dans les glaces, libérées par le réchauffement.

 

L'opéra ainsi qu'un nouveau spectacle musical sur la mer, "Lalbatros", sont joués sur scène, le premier avec un orchestre philarmonique, le second avec un groupe acoustique… La prochaine aventure ? Repartir vers l'Antarctique, pardi ! Etre astronaute est le seul rêve qu'Isabelle Autissier ne réalisera pas au cours de son existence, mais qui sait ? Cette touche-à-tout est bien capable de naviguer à travers l'Univers dans une autre vie.

 
Elisa B.
 

 

"Voyager lentement, par exemple éviter de prendre l'avion, qui a un très mauvais impact carbone, car la découverte de la planète et des autres ne se prête pas à la rapidité.

Prendre le temps pour que cela vous construise, pour que l'expérience porte ses fruits. L'expression “J'ai fait… tel ou tel pays” m'énerve : ceux qui l'emploient ne voient que l'écume des choses et leur voyage ne va leur servir à rien ; il va même contribuer à la destruction des pays parce qu'ils vont consommer l'eau, influer sur la construction de buildings, tout ce qui me désole.

Allez lentement, pas nécessairement loin, mais prenez le temps, allez à la rencontre des gens, passez du temps avec eux ! La seconde chose qui me paraît évidente, c'est l'autonomie. Pour que l'aventure que représente le voyage se passe bien, il faut être autonome, ne pas peser sur les gens et l'environnement dans lequel on se trouve."

 


 
"Homo Loquax" : CD enregistré avec l'orchestre philharmonique de Radio France.

 

"In Extremis" : tous les samedis de juillet et août, de 11h à midi, sur France Inter, où Isabelle Autissier apparaît comme une formidable chroniqueuse radio.

 

Bientôt un film sur l'expédition Mer-montagne 2010 dans Thalassa, sur France 3.

 


 
"Cent ans de solitude", de Gabriel García Márquez : son livre préféré.

 

"Le Pire Voyage au monde", d'Apsley Cherry-Garrard : sa lecture du moment. Un témoignage brut et émouvant sur un voyage improbable.

 

"Versant océan, l'île du bout du monde" : le récit de sa première expédition mer-montagne, en Géorgie du Sud.

 

"Et seule la mer s'en souviendra" : roman inspiré de la supercherie dramatique de Donald Crowhurst (prix Amerigo-Vespucci).

 


    

 

 

Publié dans A3 - Non

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