22 07 2010 - Schmidt juge Merkel. Sévèrement !

Publié le par Nominoe

 

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                     Biographie : 

http://fr.wikipedia.org/wiki/Helmut_Schmidt

 

 

 

 

 

 

 

 

Marianne2 - Helmut Schmidt - Entretien - 20,21,22 juillet 2010

 

 

Marianne2 publie l'entretien accordé par Helmut Schmidt en juillet 2010 au magazine allemand Cicero. Si l'ancien chancelier refuse de parler de « crise de régime », il n'hésite pas en revanche à épingler sévèrement le gouvernement d'Angela Merkel.

  

  

  

Cicero : Entre la population et la classe politique allemandes, un gouffre s’est manifestement  ouvert, si l’on en croit les sondages, et personne ne semble pour le moment en mesure de jeter un pont par  dessus.

  

Helmut Schmidt : Je ne sais pas si cela est manifeste. Pour vous, ça l’est. Pour moi aussi. Et pour le peuple ? Peut-être pas encore.

  

 Se trouve-t-il dans cette perte de confiance le danger d’une crise de régime ?

  

 Nous n’avons pas de crise de régime, mais une de ces nombreuses crises ordinaires qui se produisent de temps en temps. Ce qui est vraiment grave c’est le penchant de Berlin pour la vantardise wilhelminienne. La manière dont notre gouvernement en use avec les Français ces derniers mois – et à l’inverse dont les Français en usent avec Merkel – est folle, de part et d’autre. Mais ce n’est pas une crise de régime ;  je ne le qualifierais pas ainsi.

  

 Et la démission précipitée du président de la République Horst Köhler, ce  pas non plus une crise de régime ?

  

 Je ne dramatiserais pas. Quelles blessures et quels évènements dramatiques ont à ce point piqué au vif le Président, ce n’est absolument pas clair. Qu’il se résolve à la démission d’un jour à l’autre, donne à penser qu’il y a eu plus que les raisons invoquées.

  

 Le connaissez-vous ?

  

 Oui, c’est un être très sensible, et il doit aussi avoir été très mécontent de son état major : de cela je suis tout à fait sûr.

  

 Une fois que la succession de Köhler est réglée, conseilleriez-vous aussi à Mme Merkel de remanier tout de suite son cabinet ?

  

 Oui, s’il y avait assez de gens compétents. Mais un chef de gouvernement peut, dans le meilleur des cas, juger si quelqu’un est bon orateur, au parlement. S’il ou elle est en mesure de diriger un grand ministère, d’abord de percevoir les luttes de pouvoir parmi les hauts fonctionnaires ou les généraux, puis  d’y mettre fin et prendre les choses en main, bref s’il sait tout simplement administrer – cela on ne le sait pas à l’avance.

  

 Pourtant quelques hommes de gouvernement rompus aux affaires siègent dans le cabinet d’Angela Merkel.

  

 Wolfgang Schäuble, oui. Mais d’autres? Je pense à ce ministre des affaires étrangères (1). Etre ministre exige non seulement qu’on sache parler, et si possible de manière convaincante, mais en plus on doit aussi savoir administrer. Et en plus, troisièmement, on doit avoir du caractère et une certain stature morale. Cela fait beaucoup de choses, qu’un chancelier ou une chancelière ne peut pas savoir à l’avance.

  

 Est-ce que ce gouvernement doit poursuivre dans sa composition actuelle? Ou est-ce qu’une grande coalition serait préférable?

  

 Les Allemands se sont faits à l’idée que la politique suppose deux camps. Une grande coalition contredit cette idée. Les électeurs voient seulement que ceux qui hier encore s’affrontaient couchent maintenant dans le même lit ! Non, une grande coalition n’a pas la sympathie des Allemands.

  

 Mais notre pays est dans une crise budgétaire, il a besoin, dans tous les domaines de décisions ayant un large soutien politique – et ce, rapidement.

  

 Les prochains mois, ou même années, pourraient vous donner raison, mais d’ici là je ne le verrais pas ainsi. Pourquoi devrions-nous nous considérer comme en crise alors qu’en réalité la situation de l’Allemagne ne se distingue pas de celle de la France ou de celle de la Hollande, ni d’autres pays européens ? La situation économique est partout assez semblable. Et même, en ce qui concerne la  dette publique, nous nous en tirons même mieux que la plupart des autres. Enfin, si l’on emploie le mot crise pour la situation présente de l’Allemagne, alors il faut l’employer hélas pour presque tous les états européens, à l’exception peut-être de la Pologne.


(1)Exclusif: Guido Westerwelle, leader du parti libéral FDP, note du traducteur 
 

 


 

Cicero : Vous avez écrit dans le Zeit, avec votre ancien collègue français Giscard d’Estaing, un article mettant en garde contre l’érosion de l’Europe. Qu’est-ce qui est allé de travers ?

Helmut Schmidt : Enormément de choses. Cela a commencé en 1992 avec la conférence de Maastricht. Y participaient à l’époque douze états membres. Là, ils ont décidé qu’il devrait y avoir une monnaie commune : l’euro, à douze. Les règles du jeu prévoyaient l’unanimité pour toutes les décisions. Et puis, ils ont élargi l’Union toujours plus loin – maintenant nous en sommes à 27. C’est comme si l’on avait  écrit en caractères gras que ça ne pouvait pas fonctionner ! Et les ministres des affaires étrangères, quels qu’ils aient été – Kinkel ou  je ne sais qui – se sont tous fait avec cette foutaise ! Ils étaient plein d’enthousiasme, ils ont élargi la Communauté toujours plus: peut-être même mettra-t-on les Turcs là dedans, ou l’Ukraine? Mégalomaniaque! De l’autre côté naturellement, on a eu la pression des Polonais, des Estoniens, des Lettons, des Lituaniens, qui voulaient tous en être. Et maintenant nous avons ce traité de Lisbonne – qui est en vigueur aujourd’hui.

  

 Mais c’est pourtant un progrès, puisque la contrainte de l’unanimité est tombée.

  

 Non. Il y a quelques domaines dans lesquels des décisions à la majorité sont possibles. Mais dans 72 domaines l’unanimité reste exigée. Et le plus grave c’est qu’il n’y a aucune instance en face de la Banque Centrale Européenne. C’est unique dans toute l’histoire du monde :  une banque centrale qui flotte tout à fait librement dans l’espace.

  

 Et  sans aucune responsabilité, si ce n’est envers elle-même?

  

 Si ce n’est envers sa propre conscience. Les deux derniers présidents de la BCE   ont fait une prestation de premier ordre, à mon avis, en tous les cas meilleure que les banques centrales américaine et japonaise.  Ce n’est pas rien, mais il s’agit quand même d’une construction dans laquelle une banque centrale flotte librement dans l’espace. Et à la longue cela ne peut pas aller bien.

  

 Vous réclamez donc une instance politique centrale, peu importe comment on l’appelle, qui regarde par dessus l’épaule de cette banque centrale et qui l’influence aussi.

  

 Enfin, « regarder par dessus l’épaule »  est une expression trop forte pour moi, mais que la banque centrale doive prendre en considération une telle instance, ce serait souhaitable.

  

 Vous avez dit une fois, qu’avec Giscard d’Estaing, vous aviez poussé à la création d’une union monétaire européenne, pour mettre un frein aux ambitions des banquiers allemands, qui devenaient de plus en plus puissants et dont vous disiez alors qu’ils avaient tendance à devenir arrogants.

  

 Ce n’était pas le motif principal. Le motif principal était de mettre un terme au tohubohu prévisible sur les marchés des changes du monde – il y avait tout le temps des nouvelles dévaluations du dollar américain, tout le temps des réévaluations du mark, entretemps dévaluation de la livre, réévaluation et dévaluation du franc etc. La spéculation sur les devises était la raison pour laquelle nous avons dit :  le franc n’a pas assez de poids, le deutsche mark n’a pas assez de poids, nous devons créer une monnaie commune qui pèse lourd. C’était l’idée. Nous avions alors en vue une union économique et monétaire. L’euro a été l’accomplissement  de cette union.

  

 Maintenant l’euro est aussi devenu vulnérable aux attaques. Certains états à l’intérieur de l’Eurozone ne sont pas en crise seulement parce qu’ils se sont endettés, mais parce que les emprunts d’état sont devenus les ballons avec lesquels jouent les spéculateurs.

  

 Oui, des fonds de toute sorte et des sociétés écrans de toute sorte – enfin, des banques de l’ombre pourrait-on dire.

  

 On parle de « marché gris financier ».

  

 Pas  « gris », mais « grizzly » !  C'est-à-dire prédateur, barbare, féroce et cruel. Les banques sont rentrées dans le jeu, avant tout les banques d’investissement américaines et londoniennes, elles s’y sont toutes mises. Et à la fin tout le monde s’y est mis.

  

 Maintenant les Américains rejettent la plupart des propositions venant d’Allemagne au sujet de la régulation des banques. Pouvez-vous vous expliquer les motivations du ministre américain des finances et aussi du Président américain ?

  

 C’est l’inverse : ce ne sont pas les motivations du Président américain,  ce sont les motivations du Congrès, auxquels le Président s’adapte. Il aimerait bien aller plus loin. Mais il s’est adapté, afin de pouvoir vraiment imposer ce qu’il croit possible d’imposer au Sénat et à la Chambre des représentants. Les motivations  des Américains reposent sur  leur conception selon laquelle, quelqu’un qui s’enrichit doit être admiré. Il a fait usage avec succès de la liberté pour laquelle les Américains ont combattu  depuis 230 ans dans le monde entier. C’est pourquoi, d’ instinct,  la classe politique américaine est  toujours hostile à  une régulation sévère des marchés financiers.

  

 Alors, est-ce qu’Obama va échouer dans ses tentatives de dompter le monstre de la spéculation?

  

 Il va pouvoir faire passer un petit quelque chose, mais pas grand chose. Je ne crois pas que l’on va réguler en profondeur en Amérique. En revanche ce que Merkel fait – en interdisant à la force de son seul poignet les ventes à découvert,  seulement en Allemagne – est à se tordre de rire. Simplement, les titres ne seront tout pas vendus à découvert à Francfort, mais n’importe où aux Bahamas ou dans la banlieue de Londres.

  

 Elle devait le savoir mais elle n’aura lancé cette interdiction que pour calmer l’opinion publique.

  

 J’espère qu’elle sait que c’est de la foutaise.

  


 

Cicero : Que proposez-vous pour limiter la puissance des banques, spécialement des méga-banques?
Helmut Schmidt :
 
L’Allemagne seule ne peut absolument rien faire. Si les Français et les Allemands agissent ensemble, alors il est pensable que l’Euroland mette quelque chose en place. Mais pour cela l’Euroland a besoin d’une instance qui n’existe pas encore.
 
Paris et Berlin ne se comprennent manifestement pas, ce qui a poussé Angela Merkel en février à tourner le dos à Sarkozy si rudement et avec une telle froideur.
 
Une des faiblesses de caractère normale de tous les politiciens est le besoin exagéré de se faire valoir. Et cette faiblesse est ici la cause principale.
 
De ce point de vue, le besoin de se faire valoir semble encore plus prononcé chez Sarkozy que chez Angela Merkel.
 
Oui.
 
Croyez-vous que l’Europe va pouvoir trouver la sortie de cette crise financière ?   

 
Je crains que bientôt les régulations institutionnelles souhaitables, y compris les régulations des marchés financiers,  ne soient guère efficaces.
 
Et pourquoi ?
 
Parce qu’il n’y a pour cela aucune concordance de vues entre les pays. Cependant je tiens pour tout à fait possible que se forme de facto, dans les quinze ou vingt prochaines années, un noyau central des états d’Europe continentale,  selon toute probabilité sans l’Angleterre, menant une politique budgétaire et financière plus stable. Mais  un tel noyau ne pourra prendre corps que si les Français le veulent et les Allemands aussi.
 
Cela veut dire que la relation franco-allemande est décisive.
 
Oui, naturellement, elle l’a toujours été. Il n’est pas très pensable que Monsieur Jean-Claude Juncker fasse ça tout seul, comme Kaiser du Luxemburg.
 
Pourtant Monsieur Juncker est un politicien très capable.
 
Non seulement cela, mais il sait aussi ce quoi il parle, contrairement à beaucoup d’autres chefs d’Etat. Il sait vraiment de quoi il parle. Mais on ne peut pas attendre des Luxembourgeois qu’ils accomplissent cela. Et des Belges non plus – à la rigueur les Hollandais le pourraient, mais ils sont aussi trop petits finalement. Il est difficile d’ imaginer comment la Hollande pourrait s’y prendre pour guider à la fois les Français et les Allemands.

 

Vous parlez maintenant de l’idée d’une « Europe noyau » comment se présenterait cette « Europe noyau », institutionnellement ? 


 
Cela, je ne peux pas le dire d’avance. Probablement sans infrastructure institutionnelle ni constitutionnelle.
 
C’est à dire fondée sur la seule nécessité ? 
 
De la seule raison. Lors des trois périodes dans lesquelles la collaboration entre Paris et Bonn, puis entre Paris et Berlin, a bien fonctionné, tout se passait sans infrastructure institutionnelle. La coopération reposait   sur  des hommes politiques qui avaient de l’influence sur leurs collaborateurs,  les hauts fonctionnaires et les ministres. Dans le cas de De Gaulle et Adenauer,  il n’y avait que ce traité de l’Elysée. Ce n’était en vérité qu’une pure déclaration d’intention. Mais ils ont réellement – Adenauer plus que de Gaulle, car de Gaulle se sentait très supérieur – bien coopéré. Et c’était la même chose entre Giscard d’Estaing et Schmidt, ils n’avaient absolument aucune infrastructure institutionnelle. Et entre Mitterrand et Kohl il n’y avait non plus aucune infrastructure institutionnelle. Là encore, c’étaient les personnes qui étaient décisives.
 
Mais maintenant nous voyons  que la faiblesse budgétaire et financière d’un petit pays, en l’occurrence la Grèce, et en arrière plan l’Espagne, le Portugal, l’Irlande, l’Italie, à cause de leur dette, mettent brusquement en danger la cohérence économique et politique de tout le continent. 
 

C’est certainement un  danger. Mais les Français et les Allemands ont eux aussi rompu le soi disant pacte de stabilité, sans pour autant avoir été sanctionnés par qui que ce soit.
 
Parce qu’il n’y a pas cette instance supérieure ?

 
Oui, parce que le Parlement européen est sourd des deux oreilles, et parce que la Commission à Bruxelles a dormi. La  commission, c’est  est vraiment une superplaisanterie :  27 commissaires ! Chaque commissaire a encore 1000 personnes en dessous de lui. C’est de la foutaise absolue, ça ne peut pas fonctionner.
 
Alors, quelle est la solution? 

 
Il n’y a pas de solution brevetée. L’affaire est mal emmanchée,  au point qu’à mon avis elle exige uniquement de l’action effective, et non l’invention d’autres institutions. 


Fait aussi partie d‘une telle action le fait de prêcher d’exemple. Cela veut dire l’assainissement du budget en Allemagne, pour prendre un exemple. 

Là je suis réservé. On risque aussi d’exagérer l’assainissement budgétaire et ce faisant pousser l’ensemble du marché commun dans la déflation. L’assainissement du budget ne saurait être l’impératif suprême.
 
Quel serait alors l’impératif suprême ? 

 
Je le répète, il n’y a pas de réponse brevetée. Mais tous les états du monde, pas seulement les Européens, mais   aussi bien les Chinois, les Japonais, les Etats-Unis et  le Mexique – presque tous les états du monde se trouvent face à un  dilemme ;  ils ont  d’une part accumulé une montagne de dettes publiques : essentiellement parce qu’ils ont  sauvé les marchés financiers et  on aimerait, on doit même  réduire  cette montagne de dettes. D’autre part,  on sait que plus je fais du désendettement mon but, plus j’augmente le risque  de prolonger éternellement la récession. La suite de cela, c’est l’ augmentation du chômage. Le progrès technique se poursuit. Pour un produit fabriqué par 1200 travailleurs, on n’aura plus besoin dans dix ans que de 600 cent travailleurs. Si je fais de l’assainissement budgétaire mon impératif suprême, dans le premier acte de la pièce , une crise déflationniste de longue durée peut s’ensuivre, et dans le deuxième acte,  la montée du chômage.
 
Ainsi, on peut faire des économies budgétaires au point de mettre l’économie « kaputt »? 

 
Oui, naturellement. Et là, nous Allemands,  nous devons accepter qu’on nous reproche le fait que nous épargnons beaucoup plus que les autres – le taux d’épargne allemand est aujourd’hui de onze pourcent environ. C’est très inhabituellement élevé. Le taux d’épargne américain est toujours égal à zéro.
 
Vous avez été ministre des Finances. Quelle voie proposeriez-vous ? 

 
Tout d’abord je me tiendrais moi-même pour incompétent, parce qu’il y a trop longtemps que je suis retiré des affaires. A ma place,  je proposerais Peer Steinbrück (1). Et je  lui  dirais, : casse toi une bonne fois la tête là dessus et songe que la politique monétaire est en même temps à 50 %  de la politique étrangère et européenne.
 
Mais cela l’actuel ministre des finances Schäuble le sait aussi. 

 
Vraiment?
 
Bon, la relation entre Wolfgang Schäuble et sa collègue parisienne Christine Lagarde est un peu tendue…  

 
Mais Lagarde, elle, connaît la boutique. Schäuble est seulement en train d’apprendre ce métier  sur le tas. J’ai le plus grand respect pour Wolfgang Schäuble, mais pour le moment il n’est pas encore rompu au métier, on ne peut d’ailleurs pas l’exiger de lui.
 
Mais il a l’air de s’être lancé à fond  dans l’apprentissage de la matière.  

 
Les efforts qu’il fait et la maîtrise de soi dont il fait preuve sont  admirables,  mais pour le moment il n’est pas encore rompu au métier. Et il n’a pas encore compris que les aventures solitaires de l’Allemagne ne peuvent être que dommageables en politique étrangère. Comme je l’ai dit, la politique monétaire est toujours en même temps de la politique étrangère et européenne.
 
Il est de fait que nous sentons en Europe, même chez nous, une certaine renaissance du nationalisme.  

Je n’appellerais pas cela du nationalisme.
 
Alors quoi ? 
 
De l’égoïsme national. Et c’est très éloigné des exagérations nationalistes des anciens « nationaux allemands » (2). Le mot nationalisme risque d’éveiller  des associations fausses. Non! Egoïsme national, égocentrisme aussi, serre la chose de plus près. S’y ajoute le besoin qu’ont tous les politiciens de se faire valoir. La vanité joue aussi un rôle, mais le besoin de se faire valoir est encore autre chose.  Le besoin de se faire valoir est inhérent à l’homme, on  le voit  sur le terrain de football .
 
Sur un terrain de football ce n’est pas un problème.  

 
Oui, mais sur un terrain de football l’être humain montre ses réactions naturelles.
 
Comment se fait-il que beaucoup d’Allemands ne comprennent pas que l’Europe est pour eux la seule chance –la seule chance de paix aussi.  Qui a raté cela ? 

 
Malgré tout,  une quantité de gens l’ont bien compris. Il est vrai que les politiciens de ma génération et de la génération avant la mienne, c’est à dire les Ernst Reuter, Kurt Schumacher, Konrad Adenauer – c’est vrai que ceux-là le comprenaient mieux, parce que la guerre venait tout juste de se terminer, et ici nous étions littéralement « dans la merde ». Les politiciens d’aujourd’hui ne savent absolument pas ce qu’est la guerre, c’est pourquoi aussi ils sont si prompts  à envoyer des troupes n’importe où que ce soit , au Kosovo ou en Bosnie,   ou encore en Afghanistan,  en Irak ou en Somalie – nous sommes maintenant présents partout. En outre, ils ont grandi dans une période qui est unique dans l’histoire du monde, par l’élévation du niveau de vie des  masses, et en tous cas  des classes supérieures.  Cela n’avait jamais eu lieu dans le monde entier, à part maintenant en Chine. C’est un développement unique,   une haute conjoncture qui s’est maintenue  de 1953 à 1973. En 1973 vint la première crise du pétrole, et là cette conjoncture a été brisée. Mais l’augmentation du niveau de vie  s’est  néanmoins poursuivie.
 
Comment jugez-vous l’état du SPD – et en général des grands partis ?  

 
Sur le SPD je ne veux pas trop en dire maintenant. Ce parti a une incroyable suite de succès derrière lui. Mais il n’a pas encore compris qu’entretemps il est devenu un parti d’employés - et non plus d’ouvriers. Auparavant, il veillait  à ce que des fils d’ouvriers prennent l’ascenseur social. Ce fut un grandiose succès. Mais maintenant, le parti doit se repenser et comprendre enfin que les anciennes doctrines ne sont bonnes.

 

Et l’autre grand parti populaire ?(3)


 

Ni l’un ni l’autre parti ne sont plus au niveau. C’est un étrange affaissement. Prenez un peu le cas du ministre des finances. J’ai dit tout à l’heure que Schäuble est un type décent, mais d’abord il doit apprendre son job. Nous n’avons qu’un seul homme qui maîtrise plus ou moins le job – c’est Steinbrück. Si lui aussi disparaît demain , on aurait toute la social démocratie, et en plus de toute la CDU, sans personne qui ait la vue d’ensemble des marchés financiers !  C’est pourquoi je ne suis pas particulièrement optimiste, en ce qui concerne l’un ou l’autre parti – depuis le temps ça m’est égal qui gouverne. Je voudrais seulement être gouverné avec compétence.

 

Et? Vous sentez vous en ce moment gouverné décemment ?

 

Décemment oui, mais pas d’une manière très adéquate. 


 

 

L’entretien était conduit par Michael Naumann et Hartmut Palmer 
(1) Ex-ministre des finances socialiste de la grande coalition n. d. t. 

(2) Schmidt  parle ici des « Deutschnational », pas des nazis 

(3) La CDU/CSU (union chrétienne démocrate et chrétienne sociale) n. d. t.
 
 
 

Publié dans Europe

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