21 10 2010 - Maison de l'histoire de France . " La Maison de l'histoire de France est un projet dangereux " . Le Monde

Publié le par Nominoe

 

LEMONDE | 21.10.10 | 14h06  •  Mis à jour le 21.10.10 | 16h54

 

 

 

Un projet de musée, une volonté de diffusion des connaissances historiques… Assurément, vus de loin, de tels engagements, qui laissent croire à la découverte du passé, ne peuvent que susciter la sympathie et un intérêt de principe. Pourtant la Maison de l'histoire de France dont Nicolas Sarkozy vient d'annoncer, dans son discours des Eyzies (prononcé en septembre), qu'elle doit prendre place aux Archives nationales est un projet dangereux.

 

Ce danger découle de trois options hautement contestables : celle d'une France étriquée, celle du discours rétrograde qui sous-tend la Maison de l'histoire de France, et enfin, celle résultant du lieu d'implantation.

 

Une France étriquée. Il paraît bien surprenant aujourd'hui de vouloir limiter le projet d'un grand musée d'histoire du XXIe siècle à la seule "histoire de France". Alors que la "mondialisation" des économies et des sociétés ne cesse d'être évoquée comme une contrainte pour l'ensemble des Etats-nations, comment imaginer qu'un musée d'histoire du XXIe siècle ne donne pas à cette échelle une place centrale pour aider les citoyens à se repérer dans un espace large, dans son historicité ?

 

L'Europe et ses prolongements sont intrinsèquement liés à l'histoire française depuis plusieurs siècles. Surtout, les développements récents ont montré combien la construction de cet espace politique suscitait d'interrogations, de méfiance et de rejet.

 

Comment penser une "maison de l'histoire" sans travail sur la notion d'Europe, sur ses inflexions, constructions et variations, de même que ses impensés. Le décalage est grand entre les pratiques et objets de l'histoire telle qu'elle s'écrit aujourd'hui : histoire des rencontres, des connexions, des métissages et le cadre historiquement daté du projet, qui redouble une vision idéologique, celle de l'Etat-nation se légitimant par l'histoire. Tout cela ne correspond pas à une exigence de recherche historique.

 

La seule justification à limiter une "maison de l'histoire" à la France tient dans la continuité du discours néonational du pouvoir : une telle maison serait en quelque sorte la vitrine historique de la supposée "identité nationale" dont l'incantation ne cesse de mobiliser les esprits depuis 2007 avec des implications terribles pour les plus vulnérables et déshonorantes pour ceux qui leur donnent réalité.

 

La vitrine historique de l'"identité nationale". Si l'échelle privilégiée est celle d'une France rabougrie, c'est, en conséquence, moins le résultat d'une réflexion pédagogique, savante et critique que de la mise en place d'un projet fondé sur la peur de l'autre et que le pouvoir exprime dans un mouvement de repli sur soi.

 

A une pseudo-"crise identitaire" du pays, un remède tout aussi "identitaire" est supposé nécessaire : une injection rassurante de roman national. Il suffit de lire les rapports (Lemoine 1 et 2, 2008, Hébert, 2010) qui ont préparé le projet de musée, pour y trouver cet appel à une histoire centrée avant tout sur l'Etat-nation et les grands hommes, à la recherche de "l'âme" et des "origines" de la France.

 

Si l'on doutait des enjeux idéologiques, la lettre de mission envoyée le 31 mars 2009 par Nicolas Sarkozy et François Fillon au nouveau ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, Eric Besson, ôterait toute hésitation. Elle comporte une section titrée "La promotion de notre identité nationale doit être au coeur de votre action". Il y est clairement précisé que le ministère de l'identité nationale prendra part à la mise en place du musée.

 

Un lieu en danger. Le lieu finalement choisi, après de nombreuses propositions et discussions, est le site des Archives nationales au coeur du Marais, à Paris. Si tant est que les remarques précédentes amènent encore à vouloir discuter d'un lieu éventuel, il faut alors souligner combien une telle implantation se ferait au détriment des politiques de développement actuel des archives qui ont tant besoin de cet espace.

 

Or les archives sont un des instruments de l'établissement d'une histoire qui ne soit pas le seul déploiement, plus ou moins habile, des discours souhaités par les pouvoirs. Enfin, n'y a-t-il pas d'autres lieux pour exposer l'histoire que les hôtels princiers, alors que tant d'espaces du travail rappelleraient plus aisément que l'histoire est aussi faite de "vies minuscules", des hommes et des femmes ordinaires dont le quotidien et l'héritage légué à notre époque fut bien autre chose que la seule construction de l'Etat-nation et les souffrances imposées par l'histoire-bataille ?

 

Les soussignés appellent donc à la suspension de ce projet tant qu'il n'est pas repensé dans un esprit d'ouverture en prise avec une recherche historique de notre temps.

 

 

 

Isabelle Backouche (EHESS), 

Christophe Charle (université de Paris-I), 

Roger Chartier (Collège de France), 

Arlette Farge (EHESS), 

Jacques Le Goff (EHESS), 

Gérard Noiriel (EHESS), 

Nicolas Offenstadt (université de Paris-I),

Michèle Riot-Sarcey (université de Paris-VIII),

Daniel Roche (Collège de France),

Pierre Toubert (Collège de France).

 

 

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