15 10 2010 - Nucléaire . " Sergio Duarte, chargé du désarmement à l'ONU, relativise le risque de prolifération nucléaire " . Le Monde

Publié le par Nominoe

 

LEMONDE | 15.10.10 | 15h28

 

New York Envoyée spéciale

 

Brésilien, diplomate de carrière, Sergio Duarte est depuis 2007 le haut représentant des Nations unies pour le désarmement.

 

 

 

Un an et demi après le discours du président Obama, à Prague, allons-nous vers un "monde libre d'armes nucléaires" ?

 

La déclaration commune des présidents (américain Barack) Obama et (russe Dmitri) Medvedev du mois d'avril 2009, ainsi que le discours de M. Obama à Prague ont contribué à créer un climat. Il est très important que les Etats-Unis et la Russie, qui concentrent plus de 95 % des arsenaux nucléaires, montrent leur volonté de réduire leurs forces. On espère que l'accord Start (Traité de réduction des armes stratégiques, signé en avril 2010) sera ratifié. Les signes sont positifs. L'accord a été approuvé par la commission des affaires étrangères du Congrès et certains républicains le soutiennent.

 

En 2008, le secrétaire général des Nations unies avait proposé un document pour le désarmement, soutenu par nombre de délégations. Sur le désarmement, les attentes sont fortes, les esprits se mobilisent. La conférence d'examen du Traité de non-prolifération (TNP), en mai, a été positive.

 

La conférence sur le désarmement est cependant bloquée, comme l'a constaté une réunion à l'ONU le 24 septembre. Un pays fait obstacle : le Pakistan. Il invoque des impératifs de sécurité nationale pour refuser un projet de traité interdisant la production de matière fissile destinée aux armes nucléaires. Comment lever ce verrou ?

 

Il est vrai que depuis une douzaine d'années, la Conférence sur le désarmement ne produit plus rien. Mais ce n'est pas une boutique, c'est un processus très politique ! Au plan historique, la Conférence a produit le TNP (1968), les conventions sur les armes biologiques (1972) et chimiques (1993), le traité sur l'interdiction complète des essais nucléaires (signé en 1996, il lui manque huit ratifications, dont celle des Etats-Unis, pour entrer en vigueur). Ce n'est pas rien. Je ne veux pas pointer du doigt un pays ou un autre. Je rappelle qu'il a fallu des décennies pour que certains pays rejoignent le TNP. On ne peut pas forcer des pays à souscrire des engagements qui, précisément, touchent à leur sécurité nationale. Il faut user de patience pour les convaincre.

 

Des pays du Sud émergents parlent de deux poids deux mesures. Ils reprochent aux puissances nucléaires du Nord de ne pas désarmer, tout en cherchant à mieux encadrer l'utilisation pacifique de l'énergie nucléaire dans le monde. Ce clivage structure-t-il tout le débat ?

 

Les grandes puissances doivent faire plus. Au Sud, les opinions constatent un manque d'engagements contraignants en matière de désarmement, quand des exigences toujours plus fortes sont formulées en matière de vérification (des activités nucléaires civiles). Tandis qu'au Nord on demande plus d'efforts pour éviter la prolifération, il y a des pays qui trouvent qu'il n'y a pas assez de réciprocité. C'est la clef de nouveaux progrès. On ne peut pas éviter la prolifération sans progrès dans le désarmement.

 

Certains, en France notamment, estiment il n'y aura pas de désarmement nucléaire. Ils notent que, pour des raisons de statut et de puissance, ni la Russie ni la Chine ne sont dans cette logique. Ils soulignent que le danger principal provient du phénomène de la prolifération, comme l'illustre l'Iran. Qu'en pensez-vous ?

 

Le désarmement et la non-prolifération ne sont pas deux choses antagonistes. Elles se renforcent l'une l'autre. Il faut essayer d'avoir un progrès parallèle. C'est d'ailleurs ce que stipule le TNP.

 

Y a-t-il un risque de "cascade nucléaire", notamment au Moyen-Orient où d'autres pays pourraient suivre l'exemple de l'Iran s'il franchit un certain seuil nucléaire ?

 

Le président Kennedy avait dit dans les années 1960 qu'il craignait l'apparition d'une vingtaine de puissances nucléaires. Cela ne s'est pas produit. Aujourd'hui, neuf Etats sont dotés de la bombe, et un autre est soupçonné de la vouloir. Le risque d'engrenage existe mais il n'est pas immédiat. Ce type de programme nécessite en effet du temps. Beaucoup de pays comprennent par ailleurs que leur sécurité sera mieux servie s'ils ne cherchent pas à acquérir l'arme nucléaire. On a vu des pays renoncer à des armes nucléaires, comme l'Afrique du Sud, la Biélorussie, le Kazakhstan et l'Ukraine. Pour cela, il faut que les conditions de sécurité soient perçues comme avantageuses.

 

Historiquement, l'ONU a permis beaucoup de progrès en matière de sécurité collective. Le Conseil de sécurité reflète le monde au lendemain de la seconde guerre mondiale. Il faut qu'il reflète la sécurité de tous.

 

C'était le sens de la démarche de la Turquie et du Brésil sur le dossier nucléaire iranien ?

 

Cela fait peut-être partie des raisons pour lesquelles ces pays ont pris une initiative, mais l'objectif principal était de contribuer à renforcer la confiance entre les parties.

 

N'est-il pas paradoxal que les Etats-Unis, où l'administration Obama prône le désarmement, n'aient toujours pas ratifié le traité d'interdiction des essais nucléaires ?

 

Les Etats-Unis ne sont pas un pays où le président a la possibilité de dicter ce qu'il veut. Il lui faut convaincre le législatif et l'opinion publique. Il y a quand même un espoir.

 

 
Propos recueillis par Natalie Nougayrède
 
 
 

Publié dans Société

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