12 10 2010 - Finance . " La guerre des devises est déclarée " . Financial Times
courrier International
Faute de pouvoir compter sur leur demande intérieure, de nombreux pays s’efforcent de faire baisser leur monnaie pour relancer leurs exportations.
07.10.2010 | Financial Times H
© Dessin de Daniel Puddles paru dans New Statesman, Grande-Bretagne
Tout le monde le pense, mais Guido Mantega, le ministre des Finances brésilien, est l’un des rares responsables politiques à l’avoir admis publiquement : nous sommes en pleine guerre des monnaies. Des acteurs de poids, dotés d’une artillerie lourde, sont engagés dans une escalade d’interventions compétitives sur les marchés des changes.
D’aucuns prétendent qu’un tel accès d’interventionnisme pourrait avoir le même effet qu’une politique généralisée d’assouplissement monétaire. [Pratiquée par de nombreux pays, dont les Etats-Unis, elle consiste à injecter de liquidités dans l’économie afin de faire baisser les taux d’intérêt à long terme, et donc le cours de la monnaie. C’est le seul outil qui reste pour soutenir l’activité lorsque les taux d’intérêt à court terme sont déjà proches de zéro. Ce coup de pouce aux exportateurs vise à compenser la faiblesse de la demande intérieure.] Mais d’autres, plus nombreux, estiment qu’une course à la dévaluation compétitive risque d’attiser les tensions internationales. La vente de yens par Tokyo, pour 20 milliards de dollars, le 15 septembre, a marqué un tournant symbolique. Le Japon a ainsi fait son retour sur les marchés des changes après six ans d’absence. Depuis vingt ans, ce pays est la seule des grandes économies industrialisées membres du G7 [puis du G8] à avoir régulièrement eu recours à ce type d’intervention. Sa stratégie s’appuie traditionnellement sur le constat suivant : les taux d’intérêt sont si proches de zéro qu’une politique monétaire classique n’est plus efficace. Le problème, c’est que cette logique s’applique désormais à nombre d’autres pays.
La Suisse joue contre le franc
Outre la Chine, dont l’intervention sur les marchés est l’une des principales causes de cette bataille des devises, plusieurs économies de premier plan sont particulièrement actives. Ainsi, pour la première fois depuis 2002, la Suisse a commencé l’an dernier à agir contre le franc, sans stériliser cette opération par le rachat, sur son marché monétaire intérieur, de ce qu’elle avait vendu sur les marchés des changes [et sans parvenir d’ailleurs à enrayer réellement la hausse du franc face à l’euro].
A l’instar de plusieurs pays d’Asie de l’Est, la Corée du Sud, qui accueillera en novembre le sommet du G20, est intervenue plusieurs fois cette année pour freiner l’appréciation du won. Et même le Brésil, qui depuis l’année dernière s’inquiète publiquement de voir un afflux de capitaux spéculatifs pousser le real à la hausse et déséquilibrer son économie, a autorisé son fonds souverain à vendre des reais pour le compte de l’Etat. Ces initiatives unilatérales risquent d’anéantir les espoirs des Etats-Unis de mettre sur pied, lors du G20 de Séoul, une coalition capable de faire pression sur la Chine, afin qu’elle cesse d’empêcher le yuan de s’apprécier. S’il est probable qu’une réévaluation de la monnaie chinoise se révélerait salutaire pour la plupart des Etats actifs sur les marchés, rares sont les gouvernements des pays émergents à vouloir heurter Pékin de front.
Ainsi, le ministre des Affaires étrangères brésilien Celso Amorim a-t-il annoncé en septembre qu’il ne souhaitait pas participer à une telle campagne. “Faire pression sur un pays n’est pas le bon moyen de trouver des solutions”, a-t-il déclaré à l’issue d’une rencontre des représentants des pays du groupe BRIC (Brésil, Russie, Inde et Chine) organisée à New York. “Nous avons mis en place une bonne coordination avec les Chinois et nous discutons avec eux. Il ne faut pas oublier que la Chine est actuellement notre principal client.” De fait, le Brésil exporte des matières premières vers le géant asiatique.Pour Barry Eichengreen, professeur d’économie à l’université de Californie à Berkeley, ces tentatives de dévaluation compétitive ne sont peut-être pas une si mauvaise chose. Si ces pays créent plus de monnaie pour vendre celle-ci, cela signifie que, dans la pratique, ils sont en train de desserrer leur politique monétaire. Aussi, au lieu d’être un jeu à somme nulle, cela pourrait finir par représenter une forme d’assouplissement monétaire semi-coordonné.
Climat de compétition
Mais, selon d’autres experts, ce scénario optimiste ne tient pas compte de la confusion qui naît lorsque chacun joue, de son côté, contre sa propre monnaie : cela génère un climat de compétition et non de coopération. Compte tenu de la faiblesse de la reprise mondiale, il n’est certes pas absurde que les banques centrales injectent davantage de monnaie, reconnaît Ted Truman, ancien collaborateur du ministère des Finances et de la Réserve fédérale qui travaille aujourd’hui à l’institut Peterson [groupe de réflexion non partisan]. Mais il vaudrait mieux qu’elles agissent sur leurs marchés monétaires nationaux, et non sur les marchés des changes.
On n’a jamais semblé aussi loin d’une coordination internationale. Tous les pays ne pouvant dévaluer en même temps et certaines autorités, en Europe et aux Etats-Unis notamment, étant moins disposées que d’autres à intervenir pour affaiblir leur monnaie, une multiplication des dévaluations compétitives risque de provoquer des fluctuations monétaires aussi brutales que déstabilisantes.
La Chambre des représentants américaine a adopté, le 29 septembre, un projet de loi qui permet d’augmenter les droits de douane imposés aux produits importés de pays dont la monnaie est sous-évaluée. Directement visée, la Chine a immédiatement protesté contre ce texte, qui sera examiné par le Sénat en novembre. Le lobby des entreprises américaines installées en Chine critique lui aussi ce projet.
- Financial Times l'article original (en anglais)
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