Katyn, lieu d'histoire, recoit V. Poutine aujourd'hui.
L'article du Monde daté du 06 04
La critique du merveilleux film d'A. Wajda ( Sorti en 2009 ) restituera le contexte.
06.04.10 15h35
Vladimir Poutine sera à Katyn pour commémorer avec les Polonais
Un événement sans précédent est prévu, mercredi 7 avril, dans une forêt de l'ouest de la Russie. Après soixante-dix ans marqués par le déni, des mensonges et de timides pas en avant, le premier ministre polonais, Donald Tusk, et son homologue russe, Vladimir Poutine, participeront ensemble à une cérémonie officielle en hommage aux victimes de Katyn. Ce village situé près de Smolensk, à 400 kilomètres de Moscou, symbolise un des plus grands traumatismes de l'histoire polonaise, qui s'est joué dans plusieurs régions : l'assassinat par balles de près de 22 000 officiers par la police secrète (NKVD) en avril 1940, suite à un décret approuvé par le Politburo soviétique.
Après la cérémonie au cimetière militaire, les deux premiers ministres se rendront à Smolensk, où ils rencontreront la commission bilatérale chargée des "affaires difficiles" - c'est son intitulé officiel - entre les deux pays. Trois jours plus tard, le 10 avril, le président polonais, Lech Kaczynski, se rendra à son tour sur place. Il sera accompagné par environ 300 proches de victimes de ce massacre planifié, qui a décimé les élites polonaises.
Andrzej Skapski, président de la Fédération des familles de Katyn depuis 2006, espère que la cérémonie du 7 avril marquera "un jour historique" et que M. Poutine "fera un geste fort qui ira dans le sens d'une normalisation des relations entre les deux pays". Côté russe, on peine à distinguer une ligne claire, les indices de fermeture et d'ouverture se succédant.
Le 2 avril, pour la première fois, le film Katyn, du réalisateur polonais Andrzej Wajda, a été montré à la télévision, sur la chaîne Kultura, à l'audience très limitée. Il avait provoqué une grande émotion en Pologne lors de sa sortie et rassemblé un large public dans les salles, en mettant en images un drame national longtemps tu. Les autorités soviétiques avaient accusé l'Allemagne nazie, dont les soldats avaient découvert les charniers de Katyn en avril 1943, d'être responsable ces massacres.
M. Skapski, dont le père, procureur de profession, a compté parmi les victimes, mesure la réticence d'une partie des dirigeants russes, en particulier au sein des forces de sécurité, à reconnaître la vérité. Le récit de la "grande guerre patriotique", comme on nomme la seconde guerre mondiale côté russe, s'accommode mal de cette page sombre. "Je ne crois pas que le mot "excuses" soit à l'ordre du jour, c'est sans doute trop tôt", dit M. Skapski. Pourtant, le temps file ; les témoins directs se font rares. "Quelques dizaines de veuves sont toujours parmi nous, explique M. Skapski. La plus âgée est morte l'an passé en Israël, à 108 ans. Quant aux enfants des victimes, on en dénombre quelques centaines."
En avril 1990, Mikhaïl Gorbatchev a reconnu la responsabilité du régime stalinien. Mais, depuis, l'affaire de Katyn est demeurée une plaie ouverte. Entre 1991 et 2004, la justice russe a conduit une enquête pour établir les responsabilités. Au bout du compte, l'instruction a été close, sans explications, malgré les contestations. Le terme de "crime de guerre" n'a pas été retenu et 116 tomes sur 183 ont été classifiés, au nom des intérêts de l'Etat.
Grâce à Mikhaïl Gorbatchev, puis à Boris Eltsine, une grande partie des noms des victimes (15 000) a été communiquée. Les 7 000 autres étaient ceux qui avaient été arrêtés, détenus et exécutés dans la partie occidentale de la Biélorussie et de l'Ukraine. L'Ukraine a transmis une liste de 3 400 noms. A ce jour, le plus grand mystère demeure autour des 3 800 dernières victimes dont les noms restent manquants. Officiellement, le FSB russe (successeur du KGB) dit ne pas avoir retrouvé cette liste ultime de victimes en Biélorussie. Certaines familles polonaises ont saisi à ce sujet la Cour européenne des droits de l'homme, à Strasbourg.
"Il faut ouvrir toutes les archives et ne pas créer l'impression qu'elles recèlent un grand mystère", explique Adam Rotfeld, ancien ministre polonais des affaires étrangères, qui copréside la commission chargée des affaires difficiles. M. Rotfeld et les autres membres de la commission, fondée au printemps 2008, veulent dépolitiser les querelles historiographiques. Mais le chemin est ardu. "On a proposé l'an passé de créer une maison commune de l'histoire russo-polonaise. Au départ, les Russes étaient enthousiastes, puis il y a eu un blocage, pour des raisons peut-être bureaucratiques ou financières."
Piotr Smolar
LE MONDE | 31.03.09 | 15h09
"Katyn" : film poignant et douloureux pour Wajda
Dans les pays de l'Est, Katyn est un mot tabou. C'est le nom d'une forêt, en territoire russe, près de Smolensk, où les troupes allemandes trouvèrent en 1941 un charnier. Les cadavres de milliers d'officiers polonais exécutés d'une balle dans la nuque. Qui avait commandité ce massacre ? Les Allemands accusèrent les Soviétiques. Les Soviétiques désignèrent les Allemands. La polémique dura jusqu'à ce qu'éclate la vérité : en 1990, Mikhaïl Gorbatchev reconnaît officiellement que ces prisonniers de guerre avaient été fusillés par les services spéciaux du NKVD en avril 1940. En 1992, Boris Eltsine en livrera la preuve aux autorités de Varsovie : l'ordre du crime signé par Staline.
Rappel historique : lorsque la seconde guerre mondiale éclate, l'Armée rouge est liée aux nazis par le pacte germano-soviétique signé en 1939. Hitler et Staline se sont mis d'accord pour se partager la Pologne, "ce bâtard né du traité de Versailles", comme dit Molotov, le ministre soviétique des affaires étrangères. Les Allemands attaquent, et, lorsque les Soviétiques franchissent à leur tour la frontière, Staline parle de tendre une "main fraternelle au peuple polonais", de défendre les Ukrainiens et les Biélorusses de la Pologne orientale. Son objectif caché est de détruire la Pologne, qu'il considère comme un Etat fasciste, et d'y imposer le système soviétique.
Andrzej Wajda tenait absolument à tourner un film sur ce traumatisme national pour deux raisons. La première est intime : son père faisait partie des officiers exécutés à Katyn. Cette histoire lui permet de rendre hommage au courage de sa mère et de régler quelques comptes avec sa propre histoire. Il s'est par ailleurs donné une mission messianique, celle de défendre l'identité d'un pays qui fut envahi, morcelé, déchiqueté. Katyn est un nouvel épisode de l'épopée de la survie d'un peuple qui n'a cessé d'être une proie pour ses voisins. Et de la détermination de Wajda à dénoncer la falsification de l'histoire par les communistes.
Morceau de bravoure de ce film, le spectacle terrifiant de l'assassinat systématique des officiers - dont on pousse le corps dans une fosse après avoir tiré à bout portant à l'arrière de leur crâne - est précédé par l'évocation des épisodes de cette tragédie (attaque armée des Soviétiques, découverte des restes, etc.), et la manière dont un certain nombre de Polonais vivent l'événement, essentiellement des femmes. Un capitaine de cavalerie est longtemps attendu par sa femme, sa fille et sa mère, qui ont gardé espoir à cause d'une confusion sur la liste des morts. L'épouse d'un général, la soeur d'un pilote vivent douloureusement le silence et les mensonges qui entourent la disparition de leurs proches.
A 83 ans, Wajda arbore une belle vigueur créatrice. Katyn est l'un des films les plus poignants qu'il ait réalisés depuis longtemps. Il faut savoir toutefois que, évoquant des sujets sensibles, Katyn encourt deux types de critiques.
La première concerne le renvoi dos à dos des nazis et des Soviétiques comme prédateurs du territoire national. Réalisé, comme L'Homme de marbre, dans un contexte politique consensuel, le film est conçu comme une bombe antisoviétique. On y voit le Politburo envoyer une universitaire de Cracovie en camp de travail ; on y entend les troupes polonaises clairement assimilées à des partisans de la Pologne libre, et comportant autant de scientifiques, professeurs, ingénieurs, juristes et artistes que de militaires de carrière.
ETRANGE CONFUSION
Comme l'explique Victor Zaslavsky dans un ouvrage sur Le Massacre de Katyn (Tempus, 202 p., 7,50 €), les Soviétiques ont effectivement programmé la mort des officiers polonais, qui incarnaient les "ennemis objectifs", une intelligentsia bourgeoise, un vivier potentiel de résistance, ainsi que la déportation en camps de leurs familles. Ces exécutions de masse sont conçues comme un "nettoyage de classe".
La seconde est l'étrange confusion entre Katyn et le génocide des juifs. Rien, aucune allusion, dans le film, sur la Shoah, mais une description des rafles, de la traque des familles d'officiers polonais, comme s'il s'agissait de la déportation des juifs en camps. Détail troublant : ces proies d'un massacre programmé sont viscéralement attachées à leur ours en peluche. Or le Musée Yad Vashem de Jérusalem a fait de l'ours un symbole de l'extermination des enfants juifs, du martyre d'un peuple.
Dans Katyn, sommée par les services allemands de dénoncer la responsabilité soviétique dans le massacre, la femme d'un général polonais est menacée d'être envoyée à Auschwitz... Tout, sans cesse, nous ramène aux juifs, sauf que le mot n'est jamais prononcé. Le juif n'existe pas. La victime de la seconde guerre mondiale, c'est le Polonais.
Pourquoi ce non-dit, cette confusion ? Andrzej Wajda aura traîné cette question toute sa carrière, puisque son premier film, Génération (1955) - évocation de la résistance contre les nazis -, occultait déjà cet enjeu capital de la guerre. Il est vrai que l'ambiguïté de la représentation des juifs dans le cinéma polonais dépasse sa personne.
LA BANDE-ANNONCE (avec Preview Networks)
Fourni par Filmtrailer.com
Film polonais d'Andrzej Wajda avec Maja Ostaszewska, Maya Komorowska, Magdalena Cielecka, Danuta Stenka. (2 heures.)