04 10 2010 - Finance, Histoire . " Charlemagne, Francfort et le "denier unique" " . Le Monde

Publié le par Nominoe

 

LE MONDE ECONOMIE | 04.10.10 | 15h05

 

Pierre Bezbakh, maître de conférences à l'université Paris-Dauphine

 

 

 

L'Allemagne occupe la première place économique au sein de l'Union européenne et fustige les mauvais élèves qui laissent filer leurs déficits publics. Et c'est à Francfort-sur-le-Main que se situe le siège de la Banque centrale européenne (BCE).

 

Si la puissance industrielle allemande remonte au moins aux années qui suivirent la création du IIe Reich (1871) et sa tradition marchande aux temps féodaux (Xe-XVe siècles), la recherche d'une monnaie reconnue, dont la valeur est défendue par le souverain, est encore plus ancienne : dès la fin du VIIIe siècle, Charlemagne mena une réforme monétaire destinée à faciliter les échanges dans son vaste royaume, et fit de Francfort sa capitale financière.

 

Une monnaie commune avait déjà existé en Europe à l'époque de l'Empire romain, avant son effondrement en Occident à la fin du Ve siècle, qui provoqua anarchie politique et régression économique. Mais les conquêtes menées par Charlemagne, devenu roi des Francs en 768, puis empereur en 800, débouchèrent sur la construction d'un nouveau grand ensemble géopolitique et économique.

 

Dans ce contexte, il s'agissait pour Charlemagne de remettre l'émission des monnaies au coeur des prérogatives du souverain, d'unifier les monnaies en circulation, de centraliser la frappe des espèces et de restaurer leur valeur intrinsèque (c'est-à-dire la quantité de métal précieux qu'elles contenaient).

 

DEFENSE DE L'EMPIRE

C'est ainsi qu'il décida, lors d'un concile réunissant les grands princes laïcs et ecclésiastiques à Francfort en 794, que le denier, unité monétaire de référence, devait contenir au moins 1,6 gramme d'argent au lieu de 1,23 précédemment, ce qui représentait une réévaluation d'environ un tiers. Cela s'explique aussi par la raréfaction de la monnaie d'or au sein de l'empire, alors que l'argent y devenait plus abondant en raison de la production minière et des exportations de marchandises réglées en argent.

 

Réévaluer le denier permettait de maintenir sa valeur face aux monnaies d'or qui circulaient en dehors de l'empire, et d'éviter la hausse des prix qu'aurait causée une perte de valeur de la monnaie. Puis, en 805, Charlemagne décréta que les monnaies ne devaient être fabriquées que dans l'atelier du palais impérial situé à Aix-la-Chapelle, avant de tolérer toutefois la frappe dans quelques villes d'importance, telles Francfort, Arles, Lyon, Paris, Rouen ou Trèves...

 

L'influence prise par Francfort s'explique par le désir de renforcer la défense de l'empire, après la difficile conquête des marches orientales qu'il s'agissait alors de mettre en valeur. Il s'agissait aussi de faire de la région de Francfort (dont le nom "Franken-Furt" signifie "le gué des Francs"), le centre d'un trafic marchand fluvial s'effectuant par le Main et le Rhin, et par voie terrestre via de nouvelles routes allant vers l'est.

 

Avoir fait de Francfort le siège de la BCE apparaît donc aujourd'hui doublement symbolique. Sa situation en Allemagne évoque le lien entre valeur de la monnaie et puissance économique, et la ville elle-même, où se trouvait également le siège de la Bundesbank, indique que l'euro ne peut être qu'une monnaie forte, à l'instar de l'ancien mark, capable de rivaliser avec le dollar et d'éviter le risque (supposé) d'un retour de l'inflation.

 

 

 

Publié dans Histoire

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