02 07 2010 - Les archives de la police sous Vichy seront numérisées et mises en ligne

Publié le par Nominoe

 

LEMONDE.FR  02.07.10  15h50  

 

 

C'est un travail qui devrait prendre plusieurs mois, voire plusieurs années : d'ici six ans, les archives de l'Occupation conservées à la préfecture de police de Paris seront numérisées, mises en ligne et librement consultables par le grand public.

 

Ce fonds est à la fois très complet et parcellaire dans la vision qu'il donne de la France de Vichy. Quelque cent trente cartons "pleins à ras bord" de documents rapportent l'activité des brigades spéciales de police, créées dans le sillage d'un décret de septembre 1939 portant dissolution du Parti communiste français, explique Françoise Gicquel, commissaire divisionnaire et responsable de la section archives de la préfecture de police.

 

"A cette époque, un mois après le pacte germano-soviétique, nous sommes encore sous la Troisième République", rappelle Mme Gicquel. A son arrivée au pouvoir, en 1940, le maréchal Pétain, anticommuniste fervent, va mettre les brigades à contribution pour éradiquer l'ennemi "communo-terroriste", selon la terminologie de l'époque.

  

EFFICACITÉ REMARQUABLE

 

"Même si les brigades spéciales ont eu un rôle 'à la marge', leurs archives permettent d'en apprendre énormément sur les méthodes de fonctionnement de cette institution", confirme Henri Rousso, historien et directeur de recherche à l'Institut du temps présent (CNRS). Composées de rapports de filatures, de rapports de perquisitions ou encore de transcriptions d'interrogatoires, ces archives témoignent d'une efficacité redoutable dans le démantèlement des réseaux communistes et gaullistes. "Après leur arrestation, les résistants étaient interrogés, souvent torturés puis livrés à la police allemande, qui les conduisaient au mont Valérien, où ils étaient le plus souvent fusillés", explique Françoise Gicquel.

 

Longtemps considérées comme sulfureuses, les archives policières présentent un formidable intérêt pour la recherche historique. "Elles fournissent notamment des informations sur des catégories sociales dont on ne connaît la vie que parce qu'elles ont eu affaire à la police", assure Henri Rousso. "Comment questionner l'Etat, surtout dans une démocratie, sans questionner sa police ?" ajoute Jean-Marc Berlière, professeur d'histoire contemporaine à l'Université de Bourgogne (Dijon) et premier historien français à s'être penché sur le rôle de la police sous l'Occupation, au début des années 1980. L'historien s'est vite rendu compte que la police connaissait mal sa propre histoire, et qu'en interrogeant son fonctionnement, "on découvrait non seulement ses méthodes, mais aussi ses failles, ses faiblesses".

Le principal enseignement de ce fonds, selon les historiens, reste la nécessité de réfuter tout manichéisme. "Des gens souffraient de devoir faire ce travail, avertit Jean-Marc Berlière, mais ils souffraient quand ils pouvaient... Ce qui a naturellement suscité l'incompréhension des victimes à la Libération."

 

ÉTHIQUE ET MÉTHODE

 

Ces archives sont donc "précieuses et fragiles, d'autant plus qu'elles contiennent beaucoup de photographies, ajoute Françoise Gicquel. La numérisation permettra en outre de stopper la manipulation des documents." Au terme du délai légal dit "de sérénité", qui est de soixante-quinze ans, ces archives seront mises en ligne, à la disposition du public. Ce qui n'est pas sans susciter interrogations et réserves du côté des historiens.

 

"Je suis assez partagé, avoue Jean-Marc Berlière. Je pense qu'il est important d'ouvrir les placards, mais on n'entre pas dans les archives de la police comme au pays des Merveilles. Un vrai travail d'historien s'impose." Un travail qui exige selon lui deux qualités : l'éthique et la méthode. "Ces archives sont complexes, il faut apprendre à les lire. Cela dit, je me suis tellement heurté à des problèmes d'accès au début de ma carrière que je préfère voir le verre à moitié plein qu'à moitié vide."

 

Henri Rousso met lui aussi en garde contre d'éventuelles dérives. "La mise en ligne des fonds d'archives pose la question de l'utilisation d'Internet pour écrire l'histoire", souligne-t-il. "La presse a beaucoup glosé sur les noms de collaborateurs et de résistants mentionnés dans ces archives. Pour les descendants de victimes, ça n'est pas trop grave, mais pour les dénonciateurs, c'est plus délicat." La libre consultation défie ainsi le respect de la vie privée et le droit à l'oubli.

 

Même si l'historien reconnaît que "le bénéfice entraîné par l'ouverture des fonds est infiniment plus grand que ses inconvénients", il estime judicieux de s'interroger sur l'accès du public à ce type de document, peut-être par le biais d'un "espace filtré". "Ceci est un autre débat, conclut-il, mais il concerne tous les fonds d'archives consultables sur le Web."

 

Pour en savoir plus :  

- Denis Peschanski, "La Confrontation radicale. Résistants communistes parisiens vs brigades spéciales", in Les Résistances, miroir des régimes d'oppression. Allemagne, France, Italie, François Marcot et Didier Musiedlak (dir.), Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, série Historiques, 2006.

- Jean-Marc Berlière et Denis Peschanski (dir.), Pouvoirs et polices au XXe siècle (Europe, USA, Japon), Bruxelles, Complexe, 1997.

- Jean-Marc Berlière, Les Policiers français sous l'Occupation, Paris, Perrin, 2001.

 
Audrey Fournier
 
 
 

Publié dans Histoire

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article