01 10 2010 - Etienne Pinte . " La loi Besson porte atteinte à la Constitution " . Le Monde

Publié le par Nominoe

 

LEMONDE.FR | 29.09.10 | 17h14 

 

L'intégralité du débat avec Etienne Pinte, député UMP, vendredi 1er octobre 2010.

 

 

 

Narine :  Que s'est-il passé, jeudi, à l'Assemblée lors du débat sur la loi sur l'immigration ? Les députés UMP ont-il failli basculer contre la loi sur l'immigration  ?

 

Etienne Pinte : Malheureusement, les députés UMP n'ont pas basculé contre la loi Besson, mais ce que je regrette beaucoup, c'est qu'aussi bien les députés de la majorité que ceux de l'opposition étaient très absents dans ce débat emblématique qui avait trait aux libertés publiques, et en particulier aux libertés individuelles. Le seul moment où il y a eu une interruption de séance sollicitée par la majorité, c'est parce que celle-ci était minoritaire dans l'Hémicycle.

 

Sidonie : Bonjour. Pourquoi restez-vous à l'UMP si vous n'êtes pas d'accord avec la ligne du président de la République ?

 

Etienne Pinte : Je pense que quand on fait partie d'une famille politique, il est très important que la diversité des sensibilités et des voix puisse se faire entendre. Pour moi, cette diversité enrichit la réflexion et les débats au sein d'une famille politique.

 

Wraude : Encore faut-il que chacun puisse se faire entendre... ce qui n'est pas toujours le cas à l'UMP !

 

Etienne Pinte : L'important, c'est que chacun ait la liberté, en fonction de ses convictions et de ses engagements, d'avoir le courage de les exprimer, même si elles ne sont pas partagées par la majorité de la famille politique à laquelle il appartient.

 

Depuis mes prises de position dès la discussion générale, je me suis rendu compte que j'avais interpellé un certain nombre de mes collègues parlementaires qui ont modifié leur regard sur ce texte de maîtrise de l'immigration, et en particulier sur la déchéance de la nationalité. Il est important de rappeler, contrairement à ce que certains peuvent s'imaginer, qu'en ce qui concerne notre famille politique, nous avons la liberté non seulement de parler, mais également de prendre nos décisions en fonction de nos convictions personnelles.

 

David Guilbaud :  N'y a-t-il pas aujourd'hui, de plus en plus, deux courants qui se détachent au sein de la droite, et qui diffèrent en particulier sur les questions d'immigration, de sécurité... ?

 

Etienne Pinte : Il est vrai que pour nos concitoyens, les prises de position collectives ou individuelles des membres de la majorité ne sont pas toujours faciles à décrypter. Il y a ceux qui ont le courage de s'exprimer, d'écrire pour faire part de leurs réactions. Et il y a ceux, majoritaires, qui n'en pensent pas moins mais qui hésitent à s'exprimer publiquement et à faire part de leurs réticences et de leur position vis-à-vis de ces problèmes. Plusieurs de mes collègues, à la suite de mes interventions, sont venus me dire qu'ils étaient sur la même longueur d'onde que moi. Je souhaite très

vivement que, le moment venu, c'est-à-dire le 12 octobre, date du vote solennel sur ce projet de loi, ils expriment par leur vote, quel qu'il soit, leurs réticences sur ce projet.

 

Me : Ne pensez-vous pas que ce projet risque de créer une vraie division dans la société ? Je suis française d'origine algérienne de la troisième génération. Que dois-je dire à mon fils ? Tu es français, mais .... un jour, peut-être, tu ne le seras plus car des politiciens ont décidé qu'il y a différentes catégories de Français ?

 

Etienne Pinte : C'est une très bonne question. Etant moi-même d'origine étrangère, ayant été naturalisé il y a quelques années, je suis toujours considéré, dans les statistiques, comme un Français immigré. Je regrette que lorsqu'on devient Français, lorsqu'on est intégré à la société française et à ce pays que j'ai choisi, les statistiques continuent à nous considérer comme des Français d'origine étrangère, ou d'origine immigrée. Je le regrette.

 

Si j'ai pris position contre la déchéance de la nationalité, c'est bien la raison pour laquelle j'estime qu'aussi bien pour votre fils que pour moi-même, à partir du moment où nous avons la nationalité française, il n'y a pas à mes yeux lieu de sélectionner plusieurs catégories de Français.

 

Dj : Dans le fond, pourquoi y a-t-il si régulièrement des lois sur l'immigration ? Est-ce vraiment nécessaire ?

 

Etienne Pinte : C'est le cinquième projet de loi sur la maîtrise de l'immigration en sept ans. Cela montre à quel point toutes nos lois ont échoué, et en particulier en matière d'intégration.

 

Pierrot : L'objectif est-il de récupérer les voix du FN ?

 

Etienne Pinte : Ce cinquième projet de loi avait pour objectif, avant les vacances, de transcrire dans la législation française trois directives européennes en matière d'immigration. Et nous nous retrouvons, après les vacances et tout ce qui s'y est passé, avec un projet de loi qui contient plus de cent articles. Cela prouve à quel point, en trois mois, il y a eu une dérive sécuritaire.

 

Mathieu : La loi n'est-elle pas anticonstitutionnelle, dans le sens où elle se focalise sur une catégorie spécifique de population ?

 

Etienne Pinte : Effectivement, cette loi recèle à mes yeux plusieurs atteintes à la Constitution française, et en particulier la déchéance nationale. Jusqu'à présent, la déchéance nationale n'existait que pour sanctionner des crimes contre l'Etat, et pour la première fois, me semble-t-il, on veut l'utiliser pour punir des crimes et délits de droit commun.

 

Françoise : Ne pensez-vous pas que le discours de Grenoble de Nicolas Sarkozy a choqué les catholiques ?

 

Etienne Pinte : J'ai la conviction que le discours de Grenoble n'a pas seulement choqué des catholiques, des chrétiens ou des croyants, mais beaucoup d'hommes et de femmes qui sont attachés à un certain nombre de valeurs dont ils ont l'impression qu'à travers ce discours elles sont remises en cause.

 

Wraude : Pour vous, cela ressemble-t-il à du racisme ?

 

Etienne Pinte : Je dirais plutôt qu'on se trouve dans une spirale d'exclusion et de recherche de boucs émissaires pour faire croire qu'ils sont les responsables de nos maux ou de nos échecs. L'amalgame entre les gens du voyage et les Roms, faisant croire que les uns et les autres étaient tous étrangers, prouve à quel point le poids des mots est important dans une société très médiatique. La grande majorité des gens du voyage ont la nationalité française.

 

Il y a dans notre pays environs 12000 Roms. M. Besson nous dit qu'on en aurait expulsé environ 8 000 en 2009, et quasiment autant depuis le 1er janvier 2010. Même si un grand nombre sont revenus en France, il ne doit quand même pas en rester beaucoup. Ma position sur les Roms est la suivante : nous sommes l'un des grands pays d'accueil de Roms en Europe, où nous en avons accueilli une quantité bien inférieure à celle accueillie en Allemagne ou en Espagne, par exemple. Les Allemands en ont intégré et naturalisé 70 000. Et je remercie Mme Merkel de nous avoir fait découvrir la politique allemande vis-à-vis des Roms. A l'occasion de toutes ces diatribes de l'été, nous avons également appris que les Espagnols et les Scandinaves avaient des politiques d'insertion des Roms sur leur territoire national respectif.

 

Et je remercie la Commission européenne d'avoir enfin rappelé à l'ordre les pays européens, qui depuis des lustres se faisaient tirer l'oreille pour mettre sur pied des politiques d'insertion et d'intégration de toutes les minorités qui sont installées dans chacun de ces pays.

 

Sqdfdsf : Que pensez-vous de la bataille entre Viviane Reading et Sarkozy sur les expulsions de Roms ? Qui a tort, selon vous ?

 

Etienne Pinte : La polémique entre Mme Reding et le président de la République a eu au moins un avantage, c'est de mettre le doigt sur ce qui fait mal en Europe : l'intégration des Roms. C'est vrai que Mme Reding, dans sa critique et dans certaines de ses comparaisons, a peut-être été trop loin. Mais je ne vous cache pas qu'à titre personnel, quand j'ai vu tout au long de l'été – et en particulier après le discours de Grenoble – tous ces camps démantelés, tous ces hommes, ces femmes et ces enfants en file indienne avec leur baluchon, prendre l'avion car ils étaient expulsés – on était en juillet et en août – , j'avais l'impression de voir en filigrane le Vél' d'Hiv' (allusion à la rafle dont ont été victimes les juifs à Paris les  16 et 17 juillet 1942 ; ils furent rassemblés au Vélodrome d'hiver, qui se trouvait dans le 15e arrondissement).

 

C'est l'une des raisons, parmi beaucoup d'autres, pour lesquelles je suis choqué de la manière dont les choses se sont passées.

 

JohnJean : Vous avez été l'artisan de la lutte contre la double peine en 2003, et je vous en remercie. Ne pensez-vous pas que la déchéance de nationalité est beaucoup plus grave ?

 

Etienne Pinte : La déchéance de nationalité, comme l'a dit très justement Guy Carcassonne, le grand spécialiste constitutionnel, est une perte de son identité. J'ai moi-même comparé la déchéance de la nationalité à une nouvelle forme de double peine. Et au-delà de l'appartenance à une communauté nationale, je pense que son exclusion sous une forme ou sous une autre est aussi grave dans un cas que dans l'autre.

 

La différence entre ce qu'était la double peine et ce que risque d'être la déchéance de nationalité, c'est que la double peine touchait des milliers de personnes, alors que la déchéance de nationalité, si elle était votée et adoubée par le Conseil constitutionnel, n'atteindrait en principe que très peu de personnes.

 

Nooooo : Que pensez-vous des propositions de Ciotti et consorts sur la responsabilité pénale des parents de mineurs délinquants ? (Eric Ciotti est député et conseiller général des Alpes-Maritimes)

Etienne Pinte : Notre collègue Ciotti, député des Alpes-Maritimes, a déjà fait voter, à mon grand regret, une première proposition de loi suspendant les allocations familiales aux familles dont les enfants seraient trop souvent absents de l'école. J'ai voté contre cette proposition de loi. Le même M. Ciotti remet cela en suggérant de mettre les parents en prison s'ils n'arrivent pas à maîtriser leurs enfants mineurs qui auraient commis plusieurs délits. Tout cela veut dire que M. Ciotti n'envisage de trouver des solutions à une certaine délinquance de nos enfants que
par des mesures coercitives. Et si les parents étaient en prison, que ferions-nous des enfants ? Je suis naturellement totalement hostile à cette nouvelle proposition.

 

Jean : De quels chiffres dispose le gouvernement pour affirmer clairement que l'immigration et la délinquance sont intimement liées ? Je pensais que les statistiques ethniques étaient interdites en France...

 

Etienne Pinte : Durant cet été politiquement pollué, pour ne pas dire pourri, le ministre de l'intérieur a cru bon de montrer du doigt les Roms en expliquant que la progression des délits commis par cette communauté était très importante. J'ai failli demander au ministre de l'intérieur s'il pouvait nous donner des statistiques sur la délinquance des Français de souche. Et, pourquoi pas, des Français naturalisés. Je m'en suis bien gardé parce que je n'aime pas entrer dans ce genre de débat nauséabond.

 

Bidou : Concrètement, comment améliorer la situation des Roms ?

Etienne Pinte : Il y a deux situations : les Roms qui sont sur la voie de l'insertion et de l'intégration dans la société française ; et il y en a, contrairement aux affirmations du secrétaire d'Etat aux affaires européennes. Que ce soit dans le village d'insertion pour Roms d'Aubervilliers, ou dans les autres villages d'insertion créés à la diligence des communes en Seine-Saint-Denis ou dans le Nord. Il n'est pas question de les renvoyer chez eux. Les enfants sont scolarisés, des bilans de compétences professionnelles ont été faits auprès des parents, des formations complémentaires en tant que de besoin leur ont été offertes, et on les aide à s'intégrer sur le marché de l'emploi.

 

Et il y a une seconde catégorie : les Roms que nous sommes amenés à raccompagner chez eux. Il ne sert à rien de les renvoyer chez eux, même avec un pécule, si c'est pour qu'ils reviennent aussi rapidement parce qu'ils ne sont pas acceptés, qu'ils sont poursuivis et maltraités dans leur pays d'origine. Dans cette hypothèse, il faut que l'Union européenne, la France, l'Allemagne et les autres pays européens qui raccompagnent des Roms dans leur pays d'origine, en concertation en particulier avec la Roumanie et la Bulgarie, mettent en place les structures nécessaires à leur intégration dans ces pays.

 

Qu'est-ce que cela veut dire ? Cela veut dire inscrire les enfants sur les registres d'état civil dès leur naissance ; scolariser les enfants ; faire des bilans de compétences des parents et leur offrir les formations professionnelles nécessaires à leur insertion dans la vie active de ces pays. Et je demande aux entreprises étrangères, et en particulier les françaises et les allemandes, installées dans ces pays, qu'elles s'engagent à former des contingents de Roms et à les intégrer dans leur personnel.

 

Arnaud : Je suis très heureux de vous entendre parler d'intégration, car selon moi cette notion devrait être le véritable cheval de bataille du ministère d'Eric Besson. Ne pensez-vous pas que ce dernier a trop laissé de côté ce sujet au profit de celui des expulsions ?

 

Etienne Pinte : Nous pouvons effectivement regretter que l'immigration, l'étranger, le différent, l'autre, soit instrumentalisé et fasse l'objet de sujets de communication. J'ai vécu le démantèlement de Sangatte (commune du Pas-de-Calais qui hébergeait un centre d'accueil pour les immigrés sans-papiers qui voulaient passer au Royaume-Uni). J'ai vécu le démantèlement de la "jungle" de Calais. Toutes ces opérations ont trop souvent été l'objet de messages de communication politique à l'égard de nos concitoyens. De la même manière que le renvoi dans leur pays d'origine d'environ 30 000 personnes en 2009 avec un objectif à peu près semblable en 2010.

 

Personnellement, je pense que ces décisions, très médiatisées, non seulement ne règlent pas le problème de fond, mais risquent de se retourner un jour contre nous car si les problèmes d'intégration et d'insertion ne sont pas pris à bras-le-corps dès maintenant, le Parlement risque de se voir obligé de légiférer de nombreuses autres fois parce qu'il aura échoué dans sa politique de maîtrise de l'immigration.

 

PRS : Seriez-vous prêts à rejoindre un groupe de députés villepinistes de République solidaire, avec des centristes ? Cela vous permettrait d'être plus en accord avec vos idées...

 

Etienne Pinte : On m'a souvent posé la question. J'ai toujours fait partie de la même famille politique. Et ce n'est pas parce que les temps sont difficiles que je vais la déserter. Je dirai même, au contraire, que la diversité des expressions, des engagements, des convictions doit pouvoir s'exprimer au sein d'un groupe parlementaire, au sein d'un mouvement politique. C'est ce qui fait sa richesse.

 

Del : On vous dit proche de François Fillon, est-ce vrai ? Comment voyez-vous l'avenir du premier ministre ?

 

Etienne Pinte : François et moi sommes très liés depuis très longtemps. Nous avons partagé autour de Philippe Séguin les valeurs de la République qu'il incarnait et qu'il défendait avec le talent que nous lui avons connu. François et moi sommes qualifiés de "gaullistes sociaux", et donc nous partageons les mêmes convictions.

 

Dans l'intérêt de la France, je souhaite que François Fillon reste premier ministre. Le cas échéant, la seule chose que je puisse dire, c'est que je me mettrais à son entière disposition pour l'accompagner dans son "nouveau challenge", comme il le dit.

 

Publié dans Histoire

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